Les sujets abordés dans ce colloque sont au cœur des réflexions actuelles de la Commission européenne. Le projet de l’Union de l’énergie est un immense projet ; c’est potentiellement un moteur de la relance européenne dont les effets se feront sentir bien au-delà du secteur de l’énergie. Il ne change pas nos objectifs généraux en matière d’énergie : sécurité, compétitivité et durabilité, mais il insiste sur les liens profonds qui existent entre ces trois aspects.
Le cadre stratégique proposé par la Commission pour l’Union de l’énergie exprime l’ambition de transformer profondément tout le système énergétique européen. On y lit notamment que, pour atteindre l’objectif fixé, il faut abandonner le modèle économique actuel qui repose sur l’utilisation des combustibles fossiles et une approche centralisée, axée sur l’offre et qui s’appuie sur des technologies anciennes et des schémas commerciaux périmés. Il faut donner du poids aux consommateurs en leur fournissant des informations et des possibilités de choix et en injectant de la souplesse dans le mode de gestion de la demande comme de l’offre. Il faut abandonner un système fragmenté caractérisé par l’absence de coordination des politiques nationales (chacun agissant de son côté), des entraves au marché et des îlots énergétiques. Il s’agit de transformer non seulement le hardware, mais aussi tout le software, les règles du jeu, les rôles des différents acteurs, les modèles économiques, les modèles d’entreprise, et d’en tirer toutes les conséquences sur les compétences requises et la formation des personnes. Il s’agit d’une véritable révolution.
Au plan du software, j’évoquerai maintenant le travail que nous effectuons pour mette à jour le cadre juridique qui régit le marché de l’électricité en Europe. Nous avons lancé une consultation publique ouverte à tous dans la perspective de proposer l’année prochaine des modifications concrètes pour mettre à jour la conception de ce marché. Je vous exhorte à répondre à cette consultation pour nous éclairer sur les points où vous avez acquis une certaine expérience. Il suffit d’entrer « europa consultation » dans un moteur de recherche et de s’enregistrer sur le site pour recevoir une alerte automatique au moment où la consultation sera lancée. Les points les plus importants seront les suivants :
Les rôles et responsabilités respectives des gestionnaires de réseaux de transport (GRT) et des gestionnaires des réseaux de distribution (GRD). Comment ces gestionnaires doivent-ils coopérer ? Nous avons lancé à ce sujet une plate-forme de coopération européenne entre GRT et GRD qui examine aussi des questions telles que : Quelle flexibilité rechercher dans la gestion de ces réseaux? Comment partager et utiliser l’ensemble des données pour en optimiser la planification et l’exploitation ?
Les méthodes de rémunération des GRD, dont on a relativement peu parlé dans les précédentes sessions. Cette rémunération doit être suffisamment incitative pour développer la flexibilité et pour réaliser les gros investissements nécessaires à la définition, à la planification et à l’exploitation des réseaux intelligents. Le cadre réglementaire devra évoluer en conséquence. L’action est actuellement soutenue par le Council of European Energy Regulators (CEER) et une task force a été créée sur les réseaux intelligents.
Les règles relatives à l’autogénération. Elles doivent être communes, claires, efficaces pour assurer un bon équilibre entre deux exigences :
– permettre aux consommateurs de produire eux-mêmes de l’électricité pour leur propre consommation d’une façon qui soit profitable à la fois pour eux et pour l’ensemble du réseau, et en évitant que l’autoconsommation ne soit abusivement pénalisée par des taxes ;
– assurer que ces consommateurs-producteurs (qu’on appelle aussi prosumers ou consomm’acteurs) paient une contribution équitable au réseau en fonction des coûts réels d’utilisation, sachant que certains d’entre eux n’utiliseront le réseau qu’à titre d’assurance en cas de défaillance de leur propre système ; l’équilibre sera difficile à trouver.
Nous examinons aussi un autre sujet difficile ; il s’agit de la gestion de cette immense quantité d’informations que vont générer les consommateurs à partir des compteurs intelligents. Tous ceux que le consommateur aura autorisés à utiliser ces données devront y avoir un accès non discriminatoire et transparent. Mais la définition et la mise en place de l’organisation correspondante (méthodes, standards et normes permettant d’assurer l’interopérabilité) représentent un immense défi. Pour le moment, nos services travaillent avec un nombre de plus en plus élevé de GRD pour tester une méthodologie qui a été esquissée en octobre dernier dans une recommandation pour permettre aux GRD d’anticiper l’impact des projets de réseaux intelligents sur la problématique de la protection des données personnelles. Cette méthodologie sera revue à la lumière de l’expérience qui aura été acquise au bout de deux années.
Nous avons évoqué la problématique du financement des smart grids par des tarifs qui doivent inciter à investir dans les infrastructures et dans les nouvelles technologies. Il existe déjà les instruments des Fonds structurels et du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE). S’y ajoutera le plan Juncker ou EFSI (European fund for strategic investments) pour lequel un accord vient d’être obtenu entre le Conseil et le Parlement. Tous les projets de réseaux et de compteurs intelligents devraient y être éligibles. A notre avis, les Etats membres sous-estiment le potentiel en ce domaine et nous encourageons toutes les parties intéressées à s’adresser à la Banque européenne d’investissement (BEI) qui gère ce fonds dans une optique technique et non politique, en vue de couvrir, pour des projets commercialement viables, la part de risque que le marché n’est pas prêt à assumer.
Une remarque à propos des véhicules électriques, qui sont des instruments de stockage mobiles et qui pourraient constituer un pan important de notre système énergétique. Nous avions fait une proposition de directive sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants de substitution, laquelle instaurait notamment un système unique de recharge pour les voitures électriques au sein de l’Union européenne. Il s’agissait aussi d’imposer un quota minimal de bornes de recharge en fonction du nombre de véhicules concernés, auquel les Etats membres se sont opposés. Dans ce contexte, le projet de corridor vert prend encore plus de sens.
Le rôle des collectivités territoriales : les projets européens sur la transition énergétique et sur l’Union de l’énergie reposent largement, peut-être plus que tout autre, sur l’action locale et sur la coordination entre le local, le régional, le national et l’Europe. On a besoin à la fois de plus d’Europe et de plus de local. C’est d’ailleurs ce qui fait la complexité du sujet. Je soulignerai à cet égard l’importance de la convention des maires qui facilite l’action au niveau local : elle permet de partager les expériences positives et négatives, notamment dans les domaines qui concernent l’énergie et le transport durables. Il y a déjà 6 300 maires qui en font partie et l’expérience se développe au niveau mondial, avec une portée qui devrait maintenant s’étendre aux questions relatives aux productions locales d’électricité, aux micro-grids, à l’activation des consommateurs et à la mise en œuvre de la nouvelle organisation du marché.
Anne Houtman
Conseiller principal, Direction générale de l’Energie, Commission européenne