Le sujet de ce colloque est au cœur de toute l’actualité – développement, croissance –, et bien évidemment en perspective de ce grand événement que sera la COP21 sur le territoire national, un événement d’ampleur en lien très étroit avec les préoccupations climatiques que nous connaissons. Alors, peut-être juste avant d’évaluer, je me garderai bien de comparer les modèles au niveau européen, ce n’est pas l’objet, mais plutôt de situer le modèle français de la distribution d’électricité. Puis de présenter comment la distribution au sens des réseaux de distribution d’électricité, aujourd’hui, prend pleinement place dans la transition énergétique.
Comment le distributeur, c’est-à-dire l’entreprise ERDF que j’ai l’honneur et le privilège de présider, prend-il aujourd’hui pleinement sa place dans toutes ces évolutions ? Mais peut-être est-il utile de rappeler des choses qui sont assez simples finalement, mais qui relèvent d’un prérequis important, dès lors qu’il s’agit de parler des mutations électriques. C’est remettre la politique énergétique européenne et celle des Etats membres, dont bien évidemment celle de la France, en lien avec les objectifs fondamentaux aujourd’hui qu’il nous faut absolument relier entre eux quand on parle de mutation et d’évolution des réseaux électriques en matière énergétique.
D’abord, évidemment, celui de la sécurité d’approvisionnement. C’est devenu quelque chose, somme toute, assez banale, que de parler de sécurité d’approvisionnement dans nos pays, mais il faut tout de même avoir à l’esprit que c’est une conquête, somme toute assez récente à l’aune des générations présentes dans cette salle. C’est-à-dire, tout simplement, une continuité d’alimentation. C’est tout simplement une qualité de l’électricité acheminée.
Aujourd’hui, parler de développement, parler d’industrialisation, parler de promotion de l’électricité, c’est évidemment un socle de qualité qu’il faut continuer d’ailleurs à développer et à faire évoluer. C’est la compétitivité de l’énergie électricité en l’occurrence pour la compétitivité de nos entreprises bien sûr, mais pour la préservation également du pouvoir d’achat des ménages.
Il suffit là aussi de pouvoir évaluer à travers, en particulier, la médiatisation de ce sujet, à chaque augmentation de tarifs, voire diminution de tarifs pour ce qui est de nos amis gaziers récemment, de voir à quel point ce sujet a acquis une grande sensibilité, malgré les chiffres en pourcentages relativement faibles. C’est dire que la compétitivité en l’occurrence de notre énergie est déterminante pour la compétitivité de nos entreprises dans le contexte économique que nous vivons. Et puis, enfin, troisième point, troisième élément indispensable, troisième objectif fondamental qui est celui de la transition énergétique pour réduire évidemment notre empreinte carbone et qui nécessite de mettre en place un système électrique durable, c’est-à-dire capable justement d’appréhender les grandes évolutions liées à la transition énergétique.
En quoi les réseaux de distribution de l’électricité ont-ils une place absolument prépondérante ? Car la distribution de l’électricité a un rôle fondamental à jouer au regard de ces trois éléments que je viens de citer : évidemment la continuité de l’alimentation et la qualité pour les usagers, évidemment les innovations technologiques qui sont associées pour justement faire de ce système électrique un système électrique durable et permettant de maintenir dans la durée une qualité et une continuité. Je pense évidemment à ce que vous avez cité en préambule, à savoir les « smart grids », le stockage ou les véhicules électriques. Autant de facteurs, aujourd’hui, dont les modèles d’activité ne sont évidemment pas stabilisés, mais qui peuvent le devenir assez rapidement. On peut l’imaginer tout au moins avec ce que ça peut soutenir potentiellement comme source de croissance et d’évolution potentielle au sens économique du terme pour l’Europe et pour la France en particulier.
Et puis, évidemment, au sens de compétitivité, puisque pour ce qui est de la France tout au moins, il faut savoir que ce qui est l’utilisation des réseaux recouvre à peu près un tiers de la facture d’un utilisateur du réseau aujourd’hui. Et donc, c’est un critère non négligeable dans l’appréciation technique, économique, pour chacun des utilisateurs du réseau. La distribution d’électricité, justement, est une composante clé de ce système électrique. Le modèle français présente de ce point de vue un certain nombre d’atouts qui sont autant d’éléments absolument essentiels pour la mise en œuvre de la transition énergétique. Ces atouts, quels sont-ils ?
D’abord, ERDF est gestionnaire à 95 % du réseau du territoire aujourd’hui. Et ce modèle-là, qui a pu être critiqué, qui a pu avoir à un certain moment donné une contradiction au sens économique du terme, c’est celui de la péréquation tarifaire. Péréquation tarifaire à laquelle tous les acteurs sont aujourd’hui attachés. Trait caractéristique également de la densité du territoire national français. Mais c’est un point absolument clé, aux vertus à la fois sociétales, mais également de répartition au sens économique du terme. Les économies d’échelle qui permettent aux tarifs de distribution d’être particulièrement compétitifs par rapport à la moyenne européenne. C’est évidemment très directement lié à sa taille.
Et puis, sa capacité à porter des projets de recherche et de développement d’envergure, puisque aujourd’hui la transition vers une énergie carbone nécessite des réseaux de distribution beaucoup plus réactifs, beaucoup plus adaptés en temps réel à toute l’intégration d’énergies intermittentes, toute l’intégration de nouveaux paramètres, en l’occurrence permettant l’équilibre des systèmes électriques. Tout ceci justifie des investissements en amont particulièrement importants, qu’il s’agisse de Linky tout simplement, c’est-à-dire le développement du compteur intelligent, 35 millions de compteurs à déployer d’ici à 2021, qu’il s’agisse des démonstrateurs « smart grids ». Nous développons en France aujourd’hui près d’une vingtaine de démonstrateurs « smart grids » permettant là encore d’évaluer technologiquement, mais également économiquement.
C’est dire les modèles d’activité permettant de sous-tendre demain l’intégration massive d’énergies renouvelables, l’intégration massive d’énergies intermittentes ou bien de nouvelles offres d’équilibre des systèmes électriques à des mailles infraterritoriales, c’est-à-dire très locales. C’est un modèle évidemment historique, qui a fait ses preuves, mais auquel aujourd’hui à la fois l’attachement pour des raisons de cohésion territoriale, pour des raisons économiques, pour des raisons sociétales, est un facteur d’équilibre auquel nous croyons. Mais également, un facteur de soutien économique au développement, et en particulier à la capacité à appréhender dans des délais particulièrement courts ce qui se présente aujourd’hui comme un des grands enjeux, celui de la transition énergétique.
Car la distribution est sans aucun doute en première ligne de la transition énergétique. Parce que même si ce modèle a fait la preuve aujourd’hui du développement de l’électricité et doit faire la preuve de celui de sa capacité à accompagner la transition énergétique, celui-ci se déroule essentiellement sur les réseaux de distribution. Pourquoi ? Parce que, aujourd’hui, 95 % des énergies renouvelables sont raccordées sur les réseaux publics de distribution. C’est-à-dire que 85 % d’énergies très majoritairement intermittentes, très majoritairement délocalisées, c’est-à-dire installées au cœur des territoires, très majoritairement engagées à l’initiative de projets locaux souvent issus de collectivités territoriales permettant la valorisation en particulier des potentiels énergétiques locaux, sont raccordées au réseau de distribution public. Mais ce réseau continuera également à intégrer et à accueillir de nouveaux usages, comme celui du véhicule électrique.
Les ambitions qui figurent dans le projet de loi transition énergétique et avec la perspective de 7 millions de bornes de recharge à l’horizon 2030 sont connues. Mais aussi de nouveaux services aux usagers, en particulier l’équilibre des systèmes électriques : l’effacement, l’autoconsommation. Autant d’éléments qui nous font passer très rapidement en l’occurrence d’une vision exclusivement centralisée et monodirectionnelle du système électrique à une vision bidirectionnelle et des équilibres locaux à répartir. Ces équilibres locaux dépendant majoritairement de facteurs d’influence à géométrie dite « variable », puisque très implantés dans la proximité des territoires. Les innovations de demain se feront majoritairement sur le réseau public de distribution. Je pense en particulier aux « smart grids ».
« Smart grids ». Derrière ce vocable se cachent des notions technologiques très pointues, se cache en particulier une notion de temps réel, une notion de gestion massive de données, ce que d’aucuns appellent le « big data », se cachent évidemment des notions dont les modèles d’activité ne sont pas aboutis – en particulier le stockage – et qui nécessitent aujourd’hui la mise en œuvre de démonstrateurs. Démonstrateurs qui doivent maintenant passer progressivement d’une phase de recherche à des phases de préindustrialisation, voire d’industrialisation pour un certain nombre de ces paramètres. Dès l’année 2014, une dizaine de conséquences, aujourd’hui démontrées à travers en tout cas ces expérimentations, sont en train de rentrer dans la phase industrielle.
Et puis, comment ne pas parler de ces évolutions technologiques sans parler des compteurs communicants, avec probablement comme meilleure illustration de l’évolution de ces réseaux, celle du compteur en France qui s’appelle Linky. Nous allons déployer d’ici à 2020 31 millions de compteurs communicants, et ceci va profondément modifier la distribution d’électricité. Car avec Linky, ce sont évidemment 35 millions de capteurs. C’est le renforcement du « big data », c’est-à-dire la capacité pour des opérateurs de distribution exclusivement techniques ou techniciens dans un passé encore très récent à évoluer vers des opérateurs de données.
Des opérateurs de données traitant des données en masse, traitant des données en temps réel, pour à la fois permettre aux usagers, aux utilisateurs du réseau, en premier lieu de mieux maîtriser leur consommation et prendre pleinement leur rôle de « consomm’acteurs », qui peut paraître un concept, mais qui est d’ores et déjà une réalité. Comment passe-t-on du traitement d’une facture papier, c’est-à-dire quasiment illisible ou inexploitable, en tout cas en termes d’efficacité énergétique, à la capacité à appréhender un certain nombre de données, même simples, et pouvoir à ce titre-là mieux apprécier l’empreinte énergétique de son environnement ou de son logement ?
Au service des collectivités, collectivités qui se voyaient jusqu’à un passé récent diffuser des données d’information une fois à la maille de la commune et éventuellement par couleurs tarifaires, et qui vont très rapidement, c’est déjà une réalité aujourd’hui et cette réalité s’accélère chaque jour, pouvoir disposer de données à des formats déterminés, rafraîchies à des pas de temps beaucoup plus courts, permettant pour ce qui relève de leur responsabilité d’appréhender des politiques énergétiques dont elles ont, par la loi, par l’évolution des cadres réglementaires, une responsabilité aujourd’hui consacrée et évidemment accrue et au service des industriels pour faire émerger les solutions de demain. Là encore, la capacité à disposer de données et d’une qualité de distribution est absolument déterminante.
Les réseaux de demain
Car les réseaux de demain sont des réseaux certes intelligents, mais des réseaux dont l’impact des différents facteurs liés à la transition énergétique, potentiellement générateurs de troubles techniques, sont des réseaux qui, justement grâce à cette capacité en amont de traitement des données, grâce à cette capacité à gérer en temps réel les interactions avec ces évolutions, vont devenir des réseaux de bien meilleure qualité, plus facilement réparables, autocicatrisants, donc permettant aux utilisateurs de disposer, qu’ils soient producteurs ou industriels consommateurs, de potentiels de solutions bien plus importants que ceux qu’ils avaient encore à disposition. Le déploiement de ces compteurs intelligents apporte des facteurs clés d’élaboration d’un système beaucoup plus large et beaucoup plus responsabilisant.
Ces responsabilités sont nouvelles pour autant, et renforcent le principe même du service public de la distribution dans ses dimensions historiques, c’est-à-dire de préservation des équilibres des territoires jusqu’à des ramifications au plus profond du territoire, qui est l’expression même de la notion de service public. Et, en même temps, donner une connotation des plus modernes aujourd’hui au service public de la distribution en permettant ces transformations, en permettant l’accès des territoires eux-mêmes justement à leur richesse, à leur potentiel énergétique, tout en préservant un équilibre national indispensable tant du point de vue technique, grand équilibre du système électrique, qu’économique. Car il n’y aura pas de transition énergétique si elle n’est pas soutenable économiquement.
Et c’est la raison pour laquelle le modèle évoqué tout à l’heure paraît avoir aujourd’hui toutes les vertus pour préserver cette capacité à appréhender cette transition dans les délais, dans les laps de temps qui sont nécessaires, avec la capacité à gérer la richesse nécessaire au développement. C’est un nouveau distributeur, cette fois-ci au sens ERDF, au sens entreprise responsable d’un service public et responsable industriel d’un service public. Car, il s’agit de rentrer avec l’ère justement des « big data » ou de la maîtrise des données vers une industrialisation renforcée de la plupart des grands process qui président aujourd’hui aux missions élémentaires d’un distributeur, que ce soit le raccordement, que ce soit le dépannage, que ce soit l’entretien ou que ce soit justement la gestion en temps réel de la capacité à intégrer de nouveaux utilisateurs au réseau.
Et, en particulier, un service public qui modifie en profondeur la mission et la proximité avec les territoires. Cette proximité est inhérente à tout métier de distribution, elle a toujours existé. Elle s’est exercée dans le cadre de la nature même des réseaux tels qu’ils existaient. Aujourd’hui, on modifie assez profondément les contours, on le voit bien, mais également le contenu. Et ça, c’est un élément absolument déterminant qui conditionne la pérennité du modèle évoqué tout à l’heure. Car de la capacité d’une entreprise nationale à s’adapter à de l’ultra local, c’est-à-dire de la réponse au monde des territoires dans leur acceptation nouvelle de responsables des politiques énergétiques, de capacité à mailler ces évolutions énergétiques avec les autres paramètres qui fondent leurs responsabilités propres au sens environnemental, au sens transport, il y a là un enjeu majeur pour les entreprises de distribution, évidemment en particulier pour ERDF.
La responsabilité d’ERDF
Mettre au service des autres acteurs de la transition énergétique ces éléments-là permettant, en particulier, aux collectivités qui auront un grand rôle à jouer pour faire émerger les potentiels énergétiques locaux, pour combattre la précarité énergétique sur les territoires, pour améliorer l’efficacité énergétique, cette responsabilité, c’est celle d’ERDF. C’est celle-ci qu’il nous appartient de faire évoluer en termes de compétences, en terme technologique, en termes d’investissements, en termes de meilleure maîtrise de l’allocation de nos ressources pour donner au service public de la distribution l’envergure et la modernisation absolument nécessaires qui permettront aux collectivités une connaissance beaucoup plus fine de la situation énergétique et du potentiel énergétique de leur territoire, d’optimiser évidemment les raccordements d’énergies renouvelables, intermittentes et des bornes de recharge des véhicules électriques.
Cet élément étant d’une grande sensibilité aujourd’hui sur les investissements et sur l’impact potentiel sur les réseaux de distribution et évidemment de mieux lutter contre la répartition aujourd’hui en matière énergétique dans les différents logements. Et donc, à ce titre-là, mieux lutter contre la précarité énergétique. C’est une véritable évolution vers les services publics de la donnée. Est-ce le terme exact ? En tout état de cause, il est certain que la gestion des consommations organisée autour d’un service public comme ERDF et autour de la distribution est un facteur qui doit permettre à l’ensemble des consommateurs, à l’ensemble des utilisateurs du réseau de distribution, de pouvoir bénéficier non seulement d’une information en amont, non seulement d’une actualisation régulière à des pas de temps à déterminer, mais également de systèmes d’alerte.
Donc de tout un dispositif nouveau leur permettant ce que les Anglais appellent l’empowerment par rapport aux problématiques énergétiques, tout en assurant des fonctions absolument essentielles que la main d’un distributeur national capable de diffuser cette information peut offrir en termes de sécurité, à savoir les questions tout à fait récentes, mais bien connues qui sont celles de la cybersécurité, qui sont celles de la sûreté des données, qui sont celles de la maîtrise de ces données tant en qualité qu’en sécurité. Et ces éléments-là, sans nul doute que le distributeur à vocation neutre, enabler, par rapport au système de distribution, détient en cela un potentiel lui permettant véritablement d’appréhender cette question des données et de la mise à disposition des données sous une véritable forme industrielle. Parce que c’est de ça qu’il s’agit, une gestion industrielle mais également maîtrisée de l’ensemble de ces données.
Préservation de la compétitivité du tarif de distribution, accompagnement des innovations, mutual market enabler comme disent les Anglais. Voilà aujourd’hui des évolutions majeures en synthèse, celles sur lesquelles les distributeurs et en particulier ERDF doivent aujourd’hui être en mesure de faire évoluer leur modèle tout en préservant l’essence même de ce qui fonde aujourd’hui leur valeur au sens du service public, et en devenant une entreprise adaptée à ces nouvelles évolutions, à ces nouvelles attentes de notre environnement. Donc, sur les valeurs qui sont celles qui ont fondé l’entreprise et qui continuent à la développer aujourd’hui, pouvoir appréhender à travers cette question, en particulier de l’évolution des données, une vraie capacité d’accompagnement de proximité de l’ensemble des territoires. Ce sera pour le distributeur, pour les réseaux de distribution, une dimension absolument nécessaire à la réussite de la transition énergétique.
Les distributeurs que nous sommes aujourd’hui ont une responsabilité et l’appréhendent avec beaucoup de dignité et d’engagement : pouvoir offrir demain les supports et les transformations en termes de compétences, en termes d’organisation, en termes de structuration, en termes d’investissement, en termes d’allocation de ressource pour pouvoir créer les conditions avec la diversité européenne. Il ne s’agit pas de prôner ce modèle-là comme étant la référence. Il est français, mais il peut avoir ses défauts. Chaque modèle, inversement, a ses atouts, et nul doute qu’à l’échelle européenne la capacité à travailler en commun sur ces sujets doit nous permettre d’accélérer les pas de temps. Car les business models sont encore en émergence, et cette capacité doit nous permettre également d’accélérer là encore la possibilité pour ces modèles de soutenir rapidement, parce qu’il y a un potentiel de développement, les transitions énergétiques.
Les transitions énergétiques s’appliquent encore avec des référentiels différents dans chacun des pays. Mais, en tout état de cause, avec une capacité à s’interconnecter. L’étude de Michel Derdevet sur les réseaux de transport est évidemment un facteur déterminant, mais pour la distribution, même s’il peut y avoir des connexions et des capacités à s’interconnecter au sens transfrontalier du terme, cela reste marginal. C’est surtout la capacité à travailler en commun, à soutenir les efforts d’investissement, de recherche, et de capacité à accélérer les constantes de temps pour déboucher demain sur des modèles beaucoup plus efficaces (le stockage en particulier). Et tout ce qui relève de l’autoproduction, en particulier de la capacité à faire émerger des offres systèmes à des mailles locales sans lesquelles il n’y aura pas de développement massif des énergies intermittentes.
Les atouts du modèle français sont clairs et reconnus tout au moins en France, avec encore une fois un tarif compétitif, une capacité à porter d’importants projets industriels, une capacité à porter une R & D au niveau international, des économies d’échelles, etc. Ces atouts-là, s’ils doivent évidemment profiter à la France, sont des atouts que l’entreprise met aussi à disposition de ses partenaires européens avec lesquels nul doute qu’il y a de grands espaces de travail. Les échanges avec les collectivités sont maintenant ceux qui structurent fondamentalement l’organisation de l’entreprise, a fortiori avec l’émergence des métropoles, dont de nouveaux acteurs dans les territoires, de nouvelles mailles de développement autour desquelles vont s’articuler les projets de développement d’énergies renouvelables.
Des projets beaucoup plus directeurs, des projets beaucoup plus responsables, des projets beaucoup plus matures, autour desquels les réseaux de distribution, les distributeurs vont continuer à développer leur offre de fournisseur, leur offre auprès des agrégateurs, leur offre auprès des opérateurs, de manière à ce que cet acteur neutre de référence que nous sommes puisse être reconnu comme apportant, comme générant, les espaces de développement nécessaires, les espaces de valorisation nécessaires aux territoires. Car, c’est bien dans les territoires que la transition énergétique va s’opérer. ERDF les a engagés. ERDF va les renforcer encore dans les années à venir. Les réseaux de distribution sont au cœur de cette transition énergétique. ERDF en sera en tout état de cause un acteur déterminant avec lequel, tant au niveau des collectivités qu’au niveau européen, chacun doit pouvoir compter. C’est l’engagement d’ores et déjà pris.
Un débat s’est engagé après l’intervention de Philippe Monloubou
Emile H. Malet
Vous avez décrit le modèle français de distribution à l’aune de ce que vous avez appelé un socle de qualité. Vous avez bien précisé que la distribution est au cœur de la transition énergétique, et que les innovations se feront en priorité sur les réseaux. Comment concevez-vous la coopération avec nos partenaires allemands, belges et luxembourgeois dans le domaine des réseaux ?
Philippe Monloubou
Cette coopération s’exerce déjà et je tiens à le souligner, parce que c’est assez révélateur du propos que je viens de tenir en introduction. Pendant très longtemps, la coopération au sens européen s’est déroulée sur une place, j’allais presque dire exclusive, qui était celle des réseaux de transport qui ont pleinement leur place évidemment dans toute cette transition énergétique. Loin de moi l’idée de les opposer. Mais aujourd’hui, le fait peut-être le plus marquant qui caractérise assez bien, je crois, ce que je viens d’évoquer, c’est la place qu’est en train de conquérir, encore une fois pas au détriment, mais bien en complément, EDSO par exemple qui est l’Association européenne des distributeurs. Parce que je pense que ce que je viens d’évoquer en France avec un modèle spécifique français est une réalité largement européenne, puisque la transition énergétique va s’opérer, va se réaliser certes sur la base d’infrastructures internationales comme je l’ai dit tout à l’heure, mais pour beaucoup et majoritairement dans les territoires et à l’initiative des territoires. Et ça, c’est un phénomène aujourd’hui très largement européen. Aujourd’hui, cette réalité fait que l’Association des distributeurs Européens a pris depuis peu de temps une place et continue à prendre cette place dans les débats européens, dans l’évolution des normes, dans la capacité justement à appréhender un sujet comme celui que je viens d’évoquer sur la mise à disposition des données de consommation puisqu’elles sont majoritairement issues en particulier de la collecte sur les réseaux de distribution, dans la capacité à intégrer massivement des énergies renouvelables ou à structurer des réseaux et des interconnexions entre les espaces régionaux. Car ces équilibres-là sont également déterminants.
Il y a à la fois pour ceux qui viennent du tissu régional la capacité à s’interconnecter massivement pour générer là aussi de grands équilibres de systèmes électriques, et à l’inverse pour ceux qui viennent de systèmes plus nationaux, la capacité à irriguer des territoires de plus en plus pertinents. Pour moi, le meilleur exemple est celui-ci. Après, il y a d’autres éléments de nature plus technologique, puisque, que ce soit avec nos amis belges par exemple, puisque nous sommes présents en Belgique, que ce soit avec nos amis allemands avec lesquels il y a des projets d’élaboration ou nos amis italiens, sans vouloir exclure quiconque, il y a là des espaces de coopération sur des objets beaucoup plus précis qui sont les questions qui se posent partout de la même manière. Je pense en particulier à l’autoproduction ou à l’autoconsommation qui affecte les réseaux de distribution ou que ce soit à l’échelle européenne et mondiale de la même manière ou le stockage que j’évoquais tout à l’heure. Parce que, quel est l’objet ? C’est celui que vous avez évoqué en préambule.
Si l’on pense et que l’on imagine, qu’il y a là potentiellement des modèles d’activité pourvoyeurs de richesses ou de développements pour nos industries au sens large, il est fondamental cependant que nous accélérions là encore les constantes de temps permettant de déboucher à des phases d’industrialisation sans lesquelles les échéances qui sont fixées aujourd’hui en matière de transition énergétique nous auront rattrapés avant même que les modèles d’activité n’existent. Et là, je pense à la coopération européenne, pas seulement des distributeurs en l’occurrence, mais en l’élargissant également à nos partenaires industriels traditionnels. J’étais, il y a quelques temps, au CIRED, lors du grand séminaire bisannuel sur la distribution, j’ai observé à quel point ces questions-là sont devenues majeures, puisqu’il y avait un record de participants qui n’avait jamais été atteint. Tout ça pour dire que dans le champ de la distribution est en train de s’opérer une mutation. A nous de l’accélérer justement par notre capacité à fédérer l’énergie européenne autour de ces vrais sujets.
Rolf Linkohr
Comment mettez-vous ensemble la régionalisation et la péréquation tarifaire ? Péréquation tarifaire, ça veut dire que partout en France il y a le même tarif. Mais, de l’autre côté, il y a la concurrence. Comment réagissez-vous ? Comment faites-vous pour maintenir la péréquation tarifaire ?
Philippe Monloubou
La péréquation tarifaire s’exerce d’abord de deux manières. Elle s’exerce sur le tarif régulé en général qui reste un tarif que l’on va appeler de recours, même si ce n’est pas le terme exact qui est consacré par la loi. Et elle s’exerce sur le tarif d’utilisation des réseaux qui lui, par contre, est appliqué sur l’ensemble du niveau national. Elle s’exerce effectivement par un accès de l’ensemble des acteurs du marché et des utilisateurs du réseau de distribution. Et elle s’opère par une capacité à allouer les ressources d’investissement de manière maîtrisée. Alors, pour les régions, ça fait partie des enjeux qui sont devant nous. C’est ce que j’évoquais à travers, en particulier, les schémas directeurs, puisque la France dispose aujourd’hui de schémas directeurs sur les énergies renouvelables.
Cette exigence de schémas directeurs va se renforcer encore avec les termes de la loi régissant la nouvelle organisation territoriale en France. Et autour de cette loi, les schémas directeurs vont devenir beaucoup plus prescriptifs. Il s’agira beaucoup plus en amont de déterminer, au regard des potentiels et des choix directeurs d’énergies renouvelables qui seront faits par les régions, comment les investissements peuvent-ils être étalés sur la durée au regard des exigences d’équilibre du réseau électrique et au regard de la capacité à allouer les ressources aux bons endroits. C’est cette forme de péréquation qui relie des initiatives régionales et qui relie en même temps une capacité du système électrique national dont ERDF est le garant, les grands équilibres électriques et financiers pour soutenir justement cette ressource régionale et la mise à disposition de cette ressource dans les grands équilibres nationaux pour lequel RTE joue également un rôle. Parce qu’il y a la partie distribution et la partie réseaux de transport au niveau national.
C’est cet équilibre qui a déjà fonctionné, et que la loi va renforcer quelque part, pour que ces schémas deviennent beaucoup plus directeurs et beaucoup mieux harmonisés. Ces schémas dans certaines régions se sont avérés pertinents au regard des grands équilibres. Dans certains autres endroits, ils se sont avérés assez laxistes en termes de périmètre et d’ambition. Je pense qu’il faut revenir, c’est tout l’objet de la loi justement, à quelque chose de plus encadré qui donnera à ce moment-là une meilleure pertinence aux grands équilibres nationaux et à l’allocation des ressources entre les régions. Voilà comment doit se dérouler, c’est encore quelque chose à conquérir bien évidemment, la péréquation au niveau national entre ressources locales et équilibre nationaux qui est pour moi une des clés de la transition énergétique en l’occurrence, si on veut qu’elle soit à la fois soutenable électriquement et économiquement.
Claude Desama
Mais ça doit poser la question suivante. C’est que nous, en Belgique, nous sommes confrontés à un problème qui est général, c’est celui évidemment de passer le temps, c’est-à-dire d’avoir une période de transition, entre le moment où on pourra développer des technologies de stockage, et bien entendu la prise en compte de l’intermittence des énergies renouvelables. Alors, une de nos réponses, c’est la gestion de la flexibilité de la demande. Alors, en Belgique, nous avons une flexibilité de la demande qui est gérée par des entreprises privées. Elles se situent sur des créneaux généralement du côté industriel, très peu du côté résidentiel. Et je dirais que c’est évidemment un élément positif, mais avec quand même un caractère aléatoire très fort, puisque c’est géré en fonction des intérêts des entreprises. Alors, j’aurais voulu savoir, ici en France, parce que vous gérez sans doute la flexibilité de la demande, comment la gérez-vous ?
Philippe Monloubou
La caractéristique du système électrique français est d’avoir atteint un niveau de maturité assez important dans ce domaine-là. Et cette flexibilité était historiquement réalisée de manière quasiment exclusivement tarifaire. C’est à travers en particulier le signal tarifaire que s’est développée historiquement une capacité à faire appel au marché en particulier. Quand je dis au marché, aux acteurs du marché en l’occurrence à travers le signal tarifaire sur leur capacité à s’effacer, puisque c’est de ce signal-là dont vous parlez. Cette flexibilité tarifaire existe toujours. Elle subit aujourd’hui une évolution assez significative puisque la fin des tarifs réglementés est maintenant proche : c’est en fin 2015 qu’ils devraient s’achever. Il va falloir retrouver dans un système ouvert, puisque là il s’agit bien des fournisseurs, une même capacité de flexibilité à l’échelle nationale pour ce qui est de la France. C’est un des enjeux en l’occurrence dans la détermination des nouveaux signaux tarifaires qui pourront être apportés, tant par les fournisseurs, qu’éventuellement par le mode régulé, en particulier les tarifs d’utilisation des réseaux. La loi de transition énergétique y fait référence explicitement à propos des tarifs dits à pointe mobile sur les réseaux, de manière à mieux refléter, là encore, la capacité à offrir des flexibilités.
En France, il était assez difficile, au regard du niveau en particulier des tarifs régulés d’électricité, de trouver des modèles économiques durablement soutenables. La fin des tarifs réglementés à la fin de l’année pour ce qui est des industriels en l’occurrence et les collectivités peut permettre éventuellement de trouver un petit peu plus d’espace pour ces acteurs. Je pense que l’on va durablement vers une évolution qui se fera toujours par une vision tarifaire à l’initiative des fournisseurs auxquels les distributeurs participeront par une flexibilité accrue là aussi de leurs tarifs d’utilisation des réseaux qui donnera un peu plus de relief là encore à l’offre tarifaire. Et, parallèlement, des acteurs d’effacement – je parle au moins pour l’aspect industriel et les collectivités locales. Pour ce qui est des particuliers, quelques acteurs sont aujourd’hui présents sur le domaine des particuliers, mais les termes législatifs sont en cours de finalisation dans la loi de transition énergétique. Et les difficultés à trouver un modèle économique associé montrent à l’évidence que ce problème n’est pas facile à boucler.
Question de la salle :
Est-ce que vous acceptez une autonomie par exemple agricole ? Est-ce que vous allez laisser une autonomie pour le secteur agricole, notamment pour la méthanisation de biogaz ?
Jean-Pierre Hauet
Monsieur le Président, vous avez beaucoup parlé des données massives. Effectivement, c’est un nouvel espace d’optimisation qui s’ouvre. Mais la distribution, c’est aussi du hard. Ce sont des pylônes. Ce sont des lignes, des poteaux. On sait que le réseau français est un bon réseau dans la moyenne européenne, mais par rapport au réseau allemand qui est le sujet de la journée, il a de tout temps des performances qui sont moins bonnes. Je crois que le temps de coupure aujourd’hui en France doit être de l’ordre de 100 minutes peut-être. En Allemagne, ça doit être quatre fois moins. Ma question est la suivante : est-ce qu’aujourd’hui vous avez les moyens de tout faire ? C’est-à-dire que si on fait le développement des « smart grids », Linky, est-ce qu’on est en même temps capable d’améliorer la qualité de l’infrastructure traditionnelle ?
Philippe Monloubou
Sur la première question, peu importe que ce soit l’agriculture ou autres, je pense que ça rejoint la question de l’autoproduction et de l’autoconsommation que j’évoquais tout à l’heure. Je crois que nous n’avons rien contre la biométhanisation. Evidemment, elle se développera au rythme qui doit être le sien, et elle sera soutenue par les réseaux électriques nécessaires en regard, parce que c’est une alimentation électrique importante en général qui doit accompagner ces stations de biométhanisation. Mais la question n’est pas là. Derrière votre question, il y a la place et celle du réseau par rapport à une capacité d’autoproduction, d’autoconsommation. Ça fait partie des réflexions en cours d’ailleurs dans tous les pays européens. C’est encore un sujet là aussi qui est largement partagé.
Nos amis allemands l’ont expérimenté et puis ils sont aujourd’hui un peu revenus en arrière, puisque ce qui est important en termes de solidarité nationale ou de péréquation, appelons-le sous les deux termes, c’est de pouvoir garantir que ce développement-là ne se fait pas au détriment d’autres acteurs du système électrique. Parce que quand vous autonomisez, on va le dire comme ça à une maille x, peu importe, il est évident que le réseau doit pouvoir soutenir l’éventuelle défaillance. Aujourd’hui, les installations, les territoires ou les propriétaires acceptent de se désolidariser complètement du réseau au point de pouvoir accepter tel niveau de défaillance pour revenir à la qualité ou telle ou telle dégradation de son niveau de qualité à l’heure de l’électronique, à l’heure du numérique en particulier, même dans le monde agricole.
Et peut-être surtout dans le monde agricole où les gaps technologiques qu’ils sont en train de franchir sont particulièrement importants. Quelle est la valeur ensuite de cette assurance réseau et comment s’exprime-t-elle en termes de structure du réseau et en termes de capacité aussi à financer par le TUR (Tarif d’utilisation des réseaux) cette forme assurantielle du système électrique qu’offre aujourd’hui le réseau national ? On est bien dans cet équilibre qui est à la fois un problème de qualité d’un côté, mais en même temps un problème d’assurance et un aspect d’équilibre global du système électrique qui va continuer à favoriser l’autoproduction et l’autoconsommation et en même temps permettre de soutenir et de maintenir un niveau de péréquation national capable d’apporter et de garantir un niveau de qualité satisfaisant ?
Certains se sont très vite aperçus qu’à exonérer un grand nombre d’acteurs du Tarif d’utilisation des réseaux faisait reporter sur d’autres l’assurance qu’eux attendaient évidemment pour leurs installations. Voilà une question à résoudre particulièrement importante. Nous avons des idées, l’évolution même du tarif vers une structure beaucoup moins tirée par l’énergie, mais plus par la puissance, est une des réponses en particulier. Et les évolutions prochaines du Tarif d’utilisation des réseaux vont nous permettre d’apporter des éléments de réponse en particulier.
Alors, sur la qualité maintenant, effectivement cet équilibre est important. Maintenant, est-ce que le niveau de qualité allemand aujourd’hui, qui est principalement tiré par le fait de disposer de réseaux très majoritairement souterrains liés à une densité et un mode de fonctionnement, est un différentiel de développement et d’attentes fortes aujourd’hui de la population française ? Ma conviction et l’analyse que l’on fait est que la réponse est non. Par contre, où est-ce que la qualité est absolument nécessaire pour aller au-delà de ce qui est une qualité moyenne, vous l’avez dit en France, qui est bien inférieure à 100 minutes aujourd’hui, en l’occurrence 64 minutes dernièrement ? Mais peu importe. Cette qualité moyenne est-elle tout à fait satisfaisante ou est-ce qu’elle doit s’exercer en termes de différentiel de développement, de compétitivité et de capacité à faire face au développement massif des énergies renouvelables ? Voilà la question qui nous est posée.
Donc, c’est dans ce sens-là et non pas dans une « moyennisation » visant à rattraper l’Allemagne qui n’aurait aujourd’hui, eu égard au réseau français, absolument aucun sens. Mais absolument aucun sens, ni du point de vue électrique, ni du point de vue économique, ni du point de vue qualité. Comment par contre, c’est ce que nous faisons aujourd’hui, s’adresse-t-on de manière pertinente, ciblée au regard de certaines zones qui, il est vrai, ont aujourd’hui un retard significatif eu égard à leur sensibilité aux aléas médiatiques par exemple ou bien certaines métropoles qui, aujourd’hui, et il n’y a là aucune ambiguïté en termes de compétitivité, doivent se mettre à niveau des grandes métropoles européennes ?
On n’imagine pas que les métropoles françaises de ce point de vue disposent d’un retard qualitatif, créant cette fois-ci un différentiel de développement de compétitivité. C’est inimaginable. Comment garantit-on une moyenne sur les territoires qui permette d’allouer les ressources là où c’est nécessaire pour sécuriser le développement, le raccordement d’énergies renouvelables ? C’est le schéma sur lequel aujourd’hui les prospectives stratégiques que nous faisons nous amènent à penser que tout ceci est dans un tunnel de soutenabilité qui dépendra aussi beaucoup du renforcement et du rythme de développement des énergies renouvelables intermittentes sur le réseau et tout particulièrement du développement du véhicule électrique. Si paradoxal que cela puisse paraître, parce que ce sera un des éléments clés de dimensionnement aussi du réseau d’électricité.
Les atouts du modèle français
Philippe Monloubou, Président du Directoire d’ERDF