Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, a réitéré ses menaces d’attaquer l’enclave du Haut-Karabakh, qui est isolée depuis mi-décembre. L’Arménie, dans le but de parvenir à la paix, a exprimé sa disposition à faire des concessions sur le statut de la région autonome.
Lors de sa visite à Latchine, le président Aliev a clairement déclaré que l’Azerbaïdjan était prêt à lancer une opération militaire à tout moment. Cette déclaration fait suite à l’installation de familles azerbaïdjanaises dans la cité majoritairement arménienne du Haut-Karabakh, qui a été rattachée à l’Azerbaïdjan en 1921.
Depuis la proclamation de son indépendance, le Haut-Karabakh n’a jamais été reconnu au niveau international. Les autorités arméniennes assurent de facto la protection de la région. Cependant, en 2020, lors d’une guerre meurtrière de 44 jours, l’Azerbaïdjan a repris 70% de l’enclave. Depuis le 12 décembre, le blocus imposé par Bakou entrave la circulation des denrées alimentaires et des médicaments, sauf dans les cas d’urgence autorisés par la Croix-Rouge.
Face à cette situation, l’Arménie a exprimé sa volonté de faire des concessions concernant le statut du Haut-Karabakh afin d’aboutir à la paix. Les tensions persistent entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, suscitant des inquiétudes quant à la stabilité de la région et à la situation humanitaire dans l’enclave.
Pénuries et délestages électriques dans l’enclave
Vadim, un habitant de Stepanakert, exprime sa détresse face à une situation difficile : « Nous faisons tout notre possible pour survivre, mais cela devient de plus en plus difficile. » Il y a une pénurie d’essence et de gaz depuis longtemps, ce qui entraîne des files d’attente devant les magasins. Pour faire face à ces manques, les autorités d’Artsakh ont instauré un système de rationnement, en particulier pour les produits frais. Le sucre, le riz, les pâtes, les fruits et légumes, ainsi que les œufs, sont accessibles selon un calendrier précis. Vadim explique que les prix de certains produits ont explosé, comme les fraises qui sont passées de 900 drams (2,20 euros) à 5000-8000 drams (12-19 euros).
Il y a également une pénurie d’électricité. La seule ligne d’approvisionnement en provenance d’Arménie, qui traversait le territoire azerbaïdjanais, a été sabotée. Des coupures de courant sont mises en place quotidiennement afin de préserver l’énergie. Depuis le 26 mai, ces coupures sont passées de 3 à 6 heures par jour. Siranush, âgée de 39 ans, raconte : « Dans ma ville, l’électricité est coupée de 7h à 9h, de 13h à 15h et de 19h à 21h. Ce sont justement les heures des repas. Ma voisine a six enfants, vous pouvez imaginer les difficultés. » Les pannes affectent également l’hôpital, où seuls les services d’urgence et de réanimation bénéficient d’une alimentation électrique grâce aux générateurs.
La vie à Artsakh est devenue sombre. Les rues se transforment en un véritable désert la nuit, alors que les habitants se déplacent dans une ville plongée dans l’obscurité. Siranush exprime son inquiétude en déclarant : « Si cela se résumait uniquement à un manque de lumière et de nourriture, nous pourrions nous en sortir. Mais personne ne sait ce que l’avenir nous réserve. » Sa voix se brise au téléphone : « Nous sommes extrêmement inquiets, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour nos enfants… ».
La France se distingue
Sur la scène internationale, il règne un silence oppressant. Les pays occidentaux ont tenté successivement de médiation à Washington, puis avec Charles Michel à Bruxelles, et enfin ce jeudi à Chisinau, entre le président azéri Aliev et le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan. « Les pays occidentaux exercent une pression sur l’Arménie pour qu’elle abandonne le Haut-Karabakh. Pour eux, c’est la seule option possible », confie une source diplomatique d’Artsakh. « La France fait exception. Je dirais même que le président français est une exception. Mais lorsque les pays occidentaux agissent sous une même bannière européenne, la France est contrainte de revoir sa position. Elle ne peut pas se permettre d’être mise de côté ».
Si les habitants de l’Artsakh sont habitués aux menaces virulentes du président azerbaïdjanais, les propos tenus par le Premier ministre arménien lors d’une conférence de presse le 22 mai ont été plus surprenants. Nikol Pashinian s’est dit prêt à reconnaître la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur l’enclave en vue d’un accord bilatéral de paix. « L’Arménie est prête à reconnaître l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan sur 86 600 km² », a déclaré le dirigeant, précisant que « les 86 600 km² incluent également le Haut-Karabakh ».
Ces paroles, venant du pays protecteur qui a toujours condamné le risque imminent d’un « nettoyage ethnique » par Bakou dans le Haut-Karabakh, ont été perçues comme une trahison en Artsakh. Dans un communiqué bref, les autorités ont exprimé leur « sentiment d’indignation et de colère ». S’agit-il d’une concession d’un dirigeant acculé, abandonné par ses alliés ? Ces derniers mois, l’Azerbaïdjan a lancé à plusieurs reprises des salves de tirs sur le territoire même de l’Arménie, sans aucune réaction internationale. Erevan est plus isolée que jamais, abandonnée par la Russie et confrontée au silence des pays occidentaux.
Une décision impossible pour l’Arménie
« La situation de l’Arménie est confrontée à un dilemme insurmontable. Que feriez-vous si on vous demandait de choisir entre vos deux enfants ? », interroge une autre source arménienne. « L’erreur serait de croire qu’Aliev s’arrêtera là. Il n’a pas respecté la déclaration tripartite du 9 novembre 2020 ni les ordonnances de la Cour internationale de justice exigeant la réouverture du corridor de Latchine. Aucun accord de paix ne le satisfera. Il cherche la guerre ».
En France, la diaspora arménienne se mobilise. Dimanche, la CCAF, qui coordonne les organisations arméniennes de France, a appelé à une manifestation à Paris, du Trocadéro à l’ambassade d’Azerbaïdjan.
« Merci de vous intéresser à nous », a confié Siranush, habitante de Stepanakert, à la fin de la conversation. « Nous avons l’impression d’être oubliés. Chaque matin, je me réveille avec la même question : que va-t-il advenir de nous, de notre avenir ? J’ai toujours cette angoisse. Où sont les Nations Unies ? L’Union européenne ? Les organisations internationales ? Ils connaissent Aliev, mais ils continuent de parler d’une possible intégration… Nous abandonner à l’Azerbaïdjan revient à jeter un agneau dans la gueule du loup et lui dire ‘amusez-vous bien' ».