Les citoyens français sont attachés à leurs forêts. S’ils les voient comme le symbole d’une nature authentique et préservée, ils perçoivent, en revanche, la gestion forestière comme une menace pour sa survie, même si beaucoup rêvent de maisons en bois. Une perception paradoxale que les professionnels du secteur tentent de combattre.
Dans l’esprit des Français, forêt rime avec bien-être, biodiversité… mais elle raisonne moins bien comme bois matériau, bois énergie ou ameublement. D’après un sondage réalisé par PEFC France auprès de 1000 Français en mars dernier, 74% d’entre eux pensent que la forêt permet de lutter contre l’effet de serre et 61% contre la perte de biodiversité.
Paradoxalement, ils ne sont que 24% à se souvenir qu’elles fournissent le bois d’œuvre, une énergie biosourcée et renouvelable, ou encore du bois destiné à la fabrication de pâte de cellulose, etc. Dans ce contexte, la gestion forestière, et notamment la problématique des coupes d’arbres, sont ressenties par des d’associations et des particuliers comme une menace pour le développement des forêts.
Gestion et tourisme
De l’avis des professionnels du secteur, l’intervention humaine qui suscite tant de méfiance est pourtant cruciale pour garantir une bonne régénération des forêts et aussi permettre l’accueil du public (parcours santé, etc.). Alors même que l’engouement de ces espaces n’a jamais été aussi important, notamment en période de crise sanitaire et les confinements successifs. Pour exemple, la forêt de Fontainebleau, site naturel le plus fréquenté du pays, avec plus de 10 millions de visiteurs par an, qui a connu un afflux inédit de promeneurs ces derniers mois, menant à la fermeture de certaines voies d’accès. Sans l’action des forestiers, certains de ces espaces tant appréciés pourraient ne plus être accessibles et perdre de leurs richesses.
Exemple de régulation : la chasse aux cervidés qui, lorsqu’ils sont trop nombreux, menacent le renouvellement des forêts en mangeant les jeunes pousses. Par ailleurs, il incombe souvent aux forestiers de gérer ces afflux de touristes en prenant la casquette de protecteur de la biodiversité et de gestionnaire de touristes, voire de collecteur de déchets.
Haro sur la coupe rase des forêts
S’il y a bien un sujet qui cristallise toutes les tensions, c’est le recours aux coupes rases. En sylviculture, cette pratique consiste en l’abattage de la totalité des arbres sur une parcelle d’une exploitation forestière. Elles sont généralement utilisées pour des raisons sanitaires ou lorsque les arbres voire de plus en plus fréquemment lorsqu’il est nécessaire de changer l’essence pour adapter la forêt aux changements climatiques.
Plusieurs ONG de protection de l’environnement (notamment le WWF et France Nature Environnement) se sont emparées du sujet. Opposées à la systématisation de cette pratique, elles invoquent l’impact paysager, le déstockage carbone, l’érosion, ou encore l’atteinte faite à la biodiversité… Un point de vue qui trouve de plus en plus d’échos auprès de néophytes alors que la crise climatique bat son plein.
Mais ce discours suscite une vive incompréhension de la part des professionnels du secteur forestier, car aucune étude ne corrobore une atteinte à la biodiversité ou un déstockage carbone massif qui seraient provoqués par les coupes rases. Et si ces dernières ont bel et bien un impact sur la biodiversité, ce n’est pas une diminution de celle-ci, mais bien une transformation, laissant place à une faune et une flore différente.
Et en ce qui concerne le déstockage, les acteurs de la filière arguent qu’une fois récolté, le bois est transformé (en charpente ou en meuble par exemple), mais pas détruit : le carbone demeure donc toujours stocké. Une accusation d’autant plus injuste que les coupes rases comprennent forcément une replantation, qui participera forcément à séquestrer aussi du carbone pour les années à venir.
Enfin, si les professionnels du secteur forestier ne comprennent pas les oppositions à ces coupes c’est aussi parce qu’elles sont indispensables pour répondre aux besoins des industriels et in fine aux besoins des Français. À noter également qu’elles sont parfois incontournables pour la pérennité des forêts, comme l’expliquait la Secrétaire d’État chargée de la biodiversité, Bérangère Abba, dans un entretien accordé à Forestopic. « Cette question a pris une place importante dans le débat public, à juste titre, car à l’égard de nos forêts, il y a un attachement viscéral. À Montmorency, il y a eu des mobilisations citoyennes scandalisées, voire désespérées, de voir des coupes rases. Il fallait absolument faire ces coupes, parce que la forêt était atteinte par l’encre du châtaignier, trop fragilisée par les sécheresses successives, et il n’y avait qu’une seule solution, la coupe rase. »
Ajoutant néanmoins que : « C’est une question aussi de superficie. Il y a peut-être eu des abus et, si c’est le cas, il faut les arrêter, voire les sanctionner. Mais, pas de dogmatisme ».
Ces coupes rases, si médiatisées soient-elles, ne représentent chaque année que 0,8 % (soit 104.300 hectares selon les dernières données datant de 1999 NDLR) de la surface nationale boisée. Et d’autres modes de gestion existent et sont utilisés en fonction des problématiques et des massifs.
Engager le dialogue
Tout l’enjeu désormais pour les forestiers est de faire comprendre l’importance de la gestion multifonctionnelle de la forêt. Christine de Neuville, présidente de PEFC France (Programme de reconnaissance des certifications forestières) et maire de Vicq-sur-Breuilh, l’explique : « L’équilibre forestier, c’est accepter que la forêt ne soit pas qu’une réserve de biodiversité, qu’une source d’énergie, qu’un puits de carbone, qu’un espace de bien-être, qu’un espace de travail… mais nécessairement tout cela à la fois ! »
Cette gestion multifonctionnelle prendrait en compte à la fois la dimension environnementale de la forêt (biodiversité en danger, nécessité de capter de plus en plus de carbone) ; la dimension économique (400 000 emplois de la filière, et des demandes en bois-matériau et en bois énergie qui vont croissantes) ; à quoi s’ajoute la fonction sociale de la forêt. « La conciliation de ces trois rôles est absolument indispensable pour assurer la pérennité des forêts françaises, à travers une exploitation raisonnée de la matière bois », ajoute-t-elle.
Pour tendre vers ce contrat moral entre forestiers et la société civile, la communication est la voie privilégiée. Exit le discours technique et trop abscons, place à l’échange et à la recherche de valeurs communes avec les citoyens afin que chaque partie appréhende les différents enjeux portés par les forêts et comprenne la nécessité de les gérer et les exploiter.
C’est l’un des objectifs de la Journée internationale des forêts. Une initiative lancée par l’ONU en 2011, qui vise à comprendre la forêt et ses bienfaits, appréhender le travail des forestiers et des scientifiques face au changement climatique, en matière de préservation de la biodiversité et de gestion durable.
La rédaction de Passages n’a pas participé à la réalisation de ce contenu.