Il est admis depuis plusieurs décennies que les émissions de dioxyde de carbone (CO2) conduisent à une augmentation de sa concentration dans l’atmosphère. Le CO2 étant un gaz à effet de serre, cette augmentation conduit à une hausse des températures dans l’atmosphère avec de multiples répercussions. Les analyses des climatologues permettent de quantifier le changement climatique lié aux émissions de CO2 et d’en anticiper les conséquences. Ces études montrent que, si les émissions de CO2 ne diminuent pas rapidement et fortement, on s’achemine vers un changement climatique de très grande ampleur. En effet, les simulations indiquent qu’on pourrait avoir en un siècle une évolution des températures comparables à ce qui s’est produit en 10 000 ans lorsque la Terre est sortie de la dernière période glaciaire. C’est donc une évolution 100 fois plus rapide à laquelle de nombreux écosystèmes ne pourront pas s’adapter. Les climatologues ont alerté les gouvernements dès le début des années 80 des risques associés au changement climatique.
En réponse à ces alertes, le GIEC a été créé en 1988 pour établir un constat scientifique sur les questions liées au changement climatique. L’objectif des rapports est donc bien de faire une synthèse, en indiquant les points qui font consensus et ceux qui ne le font pas dans la communauté scientifique. Tous les 6-7 ans, le GIEC rédige un rapport complet en trois parties ; la première sur la science du climat, la deuxième sur les impacts du changement climatique, et la troisième sur les stratégies de limitation et d’adaptation au changement climatique. Le cinquième rapport est sorti en 2014 et le sixième est en cours d’élaboration. En plus, le GIEC publie parfois des rapports spéciaux plus focalisés. Ainsi, à la demande des États réunis à l’occasion de la COP 21, réunion qui a conduit aux accords de Paris, le GIEC a élaboré un rapport spécial – dit SR15 – sur les trajectoires et les conséquences d’un climat plus chaud de 1,5 ou 2 degrés par rapport au pré-industriel. Ce rapport est sorti en 2018. On rappelle que chaque rapport complet est synthétisé en un résumé, rédigé par les auteurs du rapport complet, est ensuite négocié et amendé avec les représentants des États avant approbation. Certains en déduisent que le résumé, qui a bien sûr une diffusion et une audience beaucoup plus large que le rapport complet, est un document politique plus que scientifique. Même si les représentants des États influent significativement sur sa rédaction, tout ce qui est dans le résumé doit se trouver dans le rapport complet, et les scientifiques rédacteurs ont le dernier mot dans les négociations. Le résumé est donc bien un document scientifique et pas politique, même s’il utilise un langage et des concepts accessibles à un large public.
Pour stabiliser le climat à un niveau jugé « acceptable » dans le cadre des accords de Paris (entre 1,5 et 2°C par rapport au pré-industriel), il est nécessaire de diminuer fortement nos émissions de CO2, voire même de les annuler (en bilan net) durant la seconde moitié du XXIe siècle. Il est donc nécessaire d’une part de diminuer notre consommation d’énergie et d’autre part de développer les énergies non ou pas carbonées. On peut enfin extraire du CO2 de l’atmosphère, essentiellement par la gestion des forêts. Les différents scénarios repris par le GIEC donnent un poids variable à ces trois leviers d’action. Dans le résumé du rapport spécial commandé dans le cadre des accords de Paris, quatre scénarios sont décrits. Il y en a beaucoup plus dans le rapport complet. Les quatre scénarios permettent de stabiliser le climat à un réchauffement de 1,5°C, bien que le quatrième admette un dépassement temporaire. Le premier suppose une diminution forte de la consommation d’énergie alors que le quatrième montre une hausse continue, mais avec un transfert vers des énergies non carbonées et surtout un développement massif des technologies de capture et d’enfouissement du CO2 atmosphérique.
Les quatre scénarios décrits dans le résumé supposent une diminution forte et rapide de l’usage du charbon, plus modérée en ce qui concerne le pétrole et le gaz naturel. Les besoins énergétiques sont alors couverts par un très fort développement des énergies renouvelables ainsi que par un développement, dans une moindre mesure, de l’énergie nucléaire. L’autre variable d’ajustement repose sur la technologie du CCS (Carbon Capture and Storage) dans laquelle on continue à utiliser le charbon mais le CO2 produit est capté et enfoui dans le sous-sol. Cette méthode potentielle est presque neutre sur le plan du CO2 émis. Il est aussi envisagé de bruler de la biomasse et de capter et enfouir le CO2 produit. En supposant qu’une forêt est replantée en parallèle à l’exploitation de la biomasse, on a alors un puits net de CO2 atmosphérique.
Tous les scénarios envisagés nécessitent une évolution considérable et rapide de nos modes de production d’énergie alors que les constantes de temps de cette industrie se comptent en dizaines d’années. Ainsi, on peut être dubitatif sur la possibilité de multiplier entre deux et six (en référence à 2010) la quantité annuelle d’énergie « renouvelable » produite chaque année, ou de voir le nucléaire augmenter entre 60 et 100 % d’ici la même échéance. Le rapport du GIEC dit bien que c’est encore possible, mais que des transformations très importantes du système énergétique, et de la société au sens large, seront nécessaires pour espérer y arriver.
La place du nucléaire dans le dernier rapport a, comme souvent, suscité la polémique. Les défenseurs de l’atome ont vu dans le résumé du rapport SR15 une défense du nucléaire : Tous (les quatre) les scénarios qui permettent de stabiliser le climat reposent sur une augmentation substantielle du nucléaire : entre 60 % et 100 % d’ici à 2030, et entre un facteur 2 et 6 d’ici à 2050. Les opposants ont alors insisté sur le fait que, dans le rapport complet, il est bien dit que la plupart, mais pas tous, des scénarios prévoient une augmentation du nucléaire. Certains scénarios publiés dans la littérature scientifique affirment qu’on peut stabiliser le climat en se passant de nucléaire et en focalisant les efforts sur la sobriété, le développement des renouvelables et les techniques de capture du carbone. De plus, le rapport complet insiste bien sur un certain nombre de défauts de l’énergie nucléaire qui limite ses possibilités de déploiement. La question des déchets, les risques d’accidents, et surtout la question de l’acceptabilité sociale. Le positionnement du GIEC sur le nucléaire peut ainsi se résumer par un extrait du cinquième rapport : « L’énergie nucléaire est une technologie mature pour produire une énergie de base à faible émission de CO2, mais sa contribution relative à la production électrique a diminué depuis le maximum de 1993. L’énergie nucléaire pourrait apporter une part croissante à la production d’énergie bas-carbone mais il existe plusieurs obstacles et des risques. » C’est donc une reconnaissance du potentiel de cette technologie, mais on ne peut certainement pas y voir un soutien franc et massif.
François Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CEA/CNRS/UVSQ).
Communication faite lors du colloque de Passages-ADAPes du 14 mars 2019 au Conseil supérieur du Notariat.