Le colloque d’aujourd’hui porte sur les réseaux de distribution électriques et gaziers ; nous avons assez peu parlé du gaz, mais c’est clairement la distribution qui est au centre de nos préoccupations. Mais la distribution n’est pas suffisamment prise en compte, ni dans les travaux des économistes ni dans les débats. C’est particulièrement flagrant quand on s’attache à l’optimisation du mix énergétique ou de la transition énergétique. Or, dans le coût d’approvisionnement des consommateurs, si on exclut les taxes, le transport et la distribution pèsent autant que la production. Les économistes parlent très peu de l’acheminement et encore très marginalement des réseaux de distribution. Ils constituent pourtant un des potentiels majeurs de la transition énergétique. Par exemple par la mise en place des smart grids et le fait que 95 % des énergies renouvelables se connectent directement sur le réseau de distribution.
Pour étayer par un chiffre frappant ce qui précède, il faut rappeler que les investissements dans les réseaux de distribution d’électricité représentent dans notre pays 4 milliards d’euros par an. En deux ans, cela financerait quasiment un EPR. Or on parle beaucoup plus des EPR que des réseaux de transport et encore moins de distribution.
Il y a pourtant des progrès qui se font. A commencer par les démonstrateurs de smart grids. Ces outils sont en cours de développement ; ils fourniront aux économistes les données nécessaires pour réaliser des simulations et ils apporteront une contribution très positive dans l’optimisation des réseaux intelligents. Actuellement, des gisements d’améliorations existent, mais c’est surtout pour optimiser cette nouvelle trajectoire de la transition énergétique que les études économiques sont indispensables. On peut aussi noter que, dans les prochaines années, les compteurs Gazpar et Linky fourniront des informations très utiles pour réaliser cette optimisation.
Les économistes ont identifié un autre point d’amélioration potentielle ; il s’agit de l’organisation des parties prenantes qui, aujourd’hui, sont très éclatées : distributeurs, transporteurs, producteurs, commercialisateurs, agrégateurs. Chacun cherche à optimiser son propre système, mais le signal économique que véhiculent les uns et les autres atteint-il bien sa cible ? Le consommateur, s’il ne voit que sa facture globale, pourra-t-il mieux gérer son comportement ? Sera-t-il incité à réaliser effectivement des économies ? Cette question de l’optimisation d’ensemble doit être posée ; les économistes y travaillent. C’est peut-être aujourd’hui le problème le plus important.
Par ailleurs, les économistes ont émis des recommandations au cours du débat sur la transition énergétique. J’en ai sélectionné quelques-unes applicables au questionnement sur la distribution de l’électricité et du gaz :
Les réseaux de distribution durent longtemps (parfois plus d’un siècle) ; il faut assurer la cohérence temporelle des investissements, à court terme et à long terme. Il ne faut pas réaliser un investissement par opportunisme ; il faut se demander s’il sera encore pertinent et légitime dans plusieurs décennies.
Avec la transition énergétique, des technologies relativement nouvelles (par exemple le véhicule électrique, les énergies renouvelables, les compteurs intelligents) vont apparaître, générant des incertitudes techniques et économiques. Nous recommandons d’évaluer ces incertitudes en projetant dans des scénarios énergétiques à long terme très contrastés les différents objets qui concourent à la distribution, afin d’apprécier la robustesse du système par rapport à ces différentes hypothèses. Ces scénarios seront évalués en fonction de critères microéconomiques et macroéconomiques, la principale difficulté étant liée au fait que la structure tarifaire de la distribution évolue tous les quatre ans ; il peut s’avérer difficile de tirer des conclusions pérennes et fiables.
Quand on veut évaluer la faisabilité économique d’un scénario, il ne faut jamais oublier que le contexte économique européen est difficile ; il y a donc des choix à faire, des priorités à établir. Bien sûr, la transition énergétique a de belles ambitions et les territoires à énergie positive ouvrent des perspectives qui méritent d’être développées. Mais de telles orientations exigent des investissements importants sur les réseaux ; il est donc indispensable de rechercher une optimisation économique globale.
La tenue de la COP21 en décembre braque les projecteurs sur le changement climatique, ce qui nous conduit à évoquer le rôle des réseaux dans le changement climatique. Les réseaux contribueront à l’éradication ou la réduction des émissions de CO2, notamment en accompagnant les énergies renouvelables et en facilitant les choix des usagers (via, par exemple, les compteurs intelligents).
Le développement des réseaux doit tenir le plus grand compte de la potentialité des territoires vis-à-vis de telle ou telle filière de ressource ; serait-il raisonnable de développer des réseaux pour évacuer une puissance produite qui serait trop faible ou de sous-investir dans une région en difficulté ? C’est un point que les régions devront examiner très attentivement.
Il est nécessaire de faire un travail en matière de R&D. Il y a des courbes d’apprentissage qui vont nous renseigner sur les énergies renouvelables, le stockage, la capture du carbone. Mais il ne faut pas persévérer dans les efforts de R&D quand on sait qu’ils sont voués à l’échec… Les efforts de R&D sont nécessaires dans les domaines relatifs aux nouvelles technologies du numérique, lesquelles vont apporter des innovations majeures dans le domaine des réseaux. Les distributeurs (notamment grâce au relevé des futurs compteurs) stockent des données qui appartiennent au client mais qui doivent rendre service à la collectivité. Il reste à déterminer sous quelles formes mais, au plan économique, il faut veiller à ce que ce service public soit valorisé.
Il est essentiel de souligner le lien très fort qui existe entre l’énergie et le développement économique. C’est un lien univoque. Si on veut créer du développement économique, il faut disposer de l’énergie nécessaire et se rendre capable de l’apporter là où elle est utile.
Compétitivité, lutte contre la précarité, solidarité spatiale et temporelle, règles de gouvernance sont les critères des arbitrages politiques. Ces critères doivent se décliner par la consolidation de la compétitivité du système énergétique national et le principe de péréquation à l’échelle du territoire national, tout en respectant les règles communautaires d’ouverture des marchés. Les réseaux de distribution sont un élément essentiel des arbitrages. J’appelle ici les parties prenantes à focaliser les recherches des économistes sur ce secteur pour rationaliser ces arbitrages.
Enfin, les aspirations légitimes des territoires à contribuer davantage à leur gouvernance énergétique devront être prises en compte, sans compromettre solidarité et performance économique.
Christophe Bonnery
Président de l’association des économistes de l’énergie