Le risque, son origine et les stratégies pour y faire face, c’est un sujet de débat récent, initié au milieu du XVIIIe siècle, quand la société commençait à se « libérer ». En 1755, un séisme détruisit Lisbonne et fit plus de cinquante mille victimes. Une fameuse polémique éclata alors entre Voltaire et Rousseau, Voltaire accusant le concours de circonstance, quand Rousseau rappelait avec insistance que la décision de construire une ville côtière dans une zone sismique relevait de la responsabilité exclusive de l’homme.
Cette polémique posait déjà les termes du débat :
1/ Le hasard ou le hasard perçu qu’est le risque expliquent que des événements imprévus se produisent, sans que Dieu n’y ait nécessairement quelque chose à voir.
2/ La notion de risque, liée à celle de probabilité, caractérise la volonté de maîtrise. L’homme ne croit plus, ou de moins en moins, au destin qui lierait par avance son sort. Il veut contrôler son existence en maitrisant son futur, en réduisant les risques (par des vaccins, par des assurances, etc.).
3/ L’histoire des deux derniers siècles est d’ailleurs celle d’une formidable aventure scientifique de réduction des risques, allant jusqu’à une volonté de contrôle total ; la vaccination est, en particulier, une étape importante de cette aventure.
4/ Pourtant, dans le même temps, l’homme est à l’origine de dérèglements majeurs, comme le soulignait déjà Rousseau. Les risques ne viennent plus seulement de l’extérieur (catastrophes naturelles), mais sont engendrés par les sociétés elles-mêmes. Le risque accompagne l’essor technologique de nos sociétés complexes et mondialisées. Nous fabriquons nous-mêmes les risques, sans même nous en apercevoir.
5/ Et dans les pays en développement ? Les risques y sont multipliés. On pourrait même aller jusqu’à dire que les risques sont d’autant plus nombreux que les pays sont moins développés. Le risque est quasiment un indicateur de mal développement, en même temps qu’il est une cause de mal développement.
En effet, les risques sont accrus dans les sociétés où les protections font défaut, où les institutions sont défaillantes, où la pauvreté est répandue et où la vulnérabilité en découle. Et les sociétés sont d’autant plus vulnérables que les risques les fragilisent. C’est un cercle vicieux. La vulnérabilité est une cause et une conséquence des risques.
Les conflits y sont plus fréquents, exacerbés par les frustrations ; les risques sanitaires sont accrus par les mauvaises conditions de vie, les densités de population et le difficile accès aux soins ; les risques économiques y sont liés à la forte instabilité sociale ou politique ; et la prise de risque individuelle, si nécessaire pour innover et générer de la croissance économique, y est fortement freinée ; les catastrophes naturelles y sont fréquentes, liées à la méconnaissance des dangers, à la mauvaise information ou à la corruption.
Pour illustrer ce propos, le séisme en Haïti a eu des conséquences bien plus dramatiques qu’il n’en aurait eu dans un pays développé, en partie à cause de l’absence de constructions et d’infrastructures solides, bâties selon les normes parasismiques, de l’occupation anarchique de l’espace urbain et des irrégularités observées dans le domaine de l’urbanisme. La pauvreté et le laxisme réglementaire expliquent les conséquences dramatiques.
Ainsi, les facteurs de vulnérabilité sont-ils nombreux au Sud ; facteurs économiques, sociaux, réglementaires, culturels. Et les situations sont d’autant plus complexes que les risques y sont enchâssés dans un environnement mondialisé, lui-même à risque.
Alors, comment limiter les facteurs de vulnérabilité ? Comment accroître la résilience, cette notion au cœur de la gestion des risques dans les pays en développement ?
1/ Tout d’abord en intégrant systématiquement la question des risques aux politiques de développement : accompagner une agriculture qui ne pollue pas et ne détruise pas les sols ; construire des villes résilientes ; former les populations à la gestion des risques ; renforcer les capacités et les institutions, qui sont clés pour la résilience, etc.
Intégrer les risques aux politiques de développement, c’est renforcer la résilience des populations, des territoires et des Etats.
Veillons à ce que l’agenda du développement durable renforce systématiquement la résilience.
Cet agenda nous pousse à penser le développement en protégeant le long terme, donc en réduisant les risques : c’est un de ses objectifs. L’agenda mentionne d’ailleurs explicitement la réduction du risque climatique, du risque sanitaire, du risque de catastrophe naturelle, par l’application du cadre de Sendai ; la réduction des risques financiers ; mais aussi l’accès au travail décent pour lutter contre la fragilité des ménages. Veillons à ce qu’il soit appliqué.
2/ Ensuite, on limite également les facteurs de vulnérabilité et le risque en analysant, en connaissant, en comprenant, en éclairant et en innovant : la science a, pour cela, un rôle majeur à jouer.
On prévient d’autant mieux un risque qu’on le connaît bien, qu’on est capable de l’appréhender et de diffuser les informations.
La mission des scientifiques consiste à observer, analyser, comprendre, produire des connaissances et mobiliser les savoirs autour des thèmes et objectifs proposés par l’agenda 2030. Elle consiste à mettre à la disposition de la société civile, des médias et des décideurs les avancées de la recherche, des résultats, des solutions, afin de s’inscrire au cœur du dispositif de décision des politiques publiques.
De manière complémentaire, la science, la création, l’innovation sont indispensables pour imaginer d’autres modes de vie, de production, de consommation moins générateurs de risque. C’est une évidence, certes, mais qui n’est pas assez soulignée : il n’y a pas de développement durable, notamment dans les pays du Sud, sans science, ni sans innovation.
L’IRD fait beaucoup dans ce domaine :
– Observatoires ;
– Analyse des situations de crises et travail sur la résilience ;
– Renforcement des capacités de recherche au Sud ;
– Soutien à la valorisation de la recherche et à l’innovation, volet qui est actuellement renforcé, notamment dans le cadre d’un projet de campus de l’innovation.
Bien sûr, les scientifiques ne sont qu’un maillon de la chaîne de solutions.
Il faut jouer collectif pour limiter les risques localement, mais aussi pour limiter les risques majeurs qui pèsent à l’échelle de la planète et pourraient nous plonger, à terme, dans une zone d’incertitude où l’on ne saurait plus probabiliser, où l’on ne serait plus capable de maitriser les phénomènes, où l’on pourrait atteindre l’irréversibilité… C’est le vrai risque aujourd’hui, en particulier dans le champ du changement climatique.
Le débat est nécessaire pour éviter cette perspective. Emile H. Malet nous a dit : « Va et apprends. » Nous pourrions conclure par la proposition complémentaire : « Apprends pour aller », « apprends pour comprendre et limiter les risques, pour créer l’environnement qui te permette de t’exprimer en toute liberté, qui te permette d’innover ».
Sarah Marniesse*
*Chef du Département de la mobilisation de la recherche
et de l’innovation pour le développement, IRD