Initiée lors de la conférence de Durban sur les changements climatiques de décembre 2011 (COP17), la négociation sur un accord post2020 sur le climat incluant tous les pays qui sont parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (« la Convention ») est arrivée à son terme le samedi 12 décembre 2015 avec l’adoption d’un texte de 17 pages, appelé « Accord de Paris », qui est annexé aux résolutions de la Conférence de Paris sur le climat (la COP21, c’est-à-dire la 21e conférence des Parties à la Convention).
Cette adoption a été saluée à juste titre comme un grand succès diplomatique, à mettre au crédit des Nations unies mais aussi et surtout de la diplomatie française, emmenée par Laurent Fabius qui, depuis trois ans, a organisé et conduit un travail de préparation remarquable, sur le plan technique et politique, permettant de parvenir à ce résultat qui, lors de l’adoption de la plate-forme de Durban, était considéré par beaucoup comme très incertain.
Mais aujourd’hui le texte est là, disponible à l’heure et traduit en français, anglais, arabe, chinois, espagnol et russe, chaque version faisant également foi. Il est précédé des résolutions de la conférence qui en constituent en quelque sorte le premier décret d’application et qui contiennent des dispositions essentielles à la compréhension de l’ensemble.
Il reste à savoir quel sera l’impact dans la durée de ce texte salué dans le monde entier : certains le considèrent comme un événement historique, d’autres l’estiment décevant et insuffisant pour répondre au défi du changement climatique. Les développements qui suivent visent à donner à nos lecteurs certains éléments d’information et de compréhension sur le contenu de l’accord et sur sa portée exacte.
Les aspects juridiques
L’Accord de Paris s’appuie sur la Convention de 1992 et est destiné à en être approuvé par les Parties. Au stade actuel, il n’est pas encore formellement signé : il a été déclaré par la COP apte à l’être. La période de signature d’une année s’ouvrira à New York, au siège des Nations unies, le 22 avril 2016, pour s’achever le 21 avril 2017. Puis débutera la période la plus délicate de l’adhésion effective des Etats – celle qui avait tant retardé l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto. Cette approbation pourra prendre différentes formes selon les constitutions ou les lois propres à chaque Etat : ratification, acceptation, approbation ou adhésion. L’Accord pourra entrer en vigueur le 30e jour suivant le dépôt de leurs instruments de ratification par 55 Parties au moins à la Convention représentant un total d’au moins 55 % du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Il y a de bonnes chances que cette entrée en vigueur intervienne avant 2020, date à laquelle le protocole de Kyoto, prorogé par l’amendement de Doha sur la période 2013-2020, s’éteindra de lui-même faute d’être prorogé au-delà[1]. Mais la chose n’est pas certaine. Il est possible que des difficultés surgissent, aux Etats-Unis notamment. Cela tient à la nature du texte, qualifié d’« accord », qui n’est donc pas officiellement un « traité » mais qui en est quand même un. Le point clé est de savoir si l’Accord de Paris sera considéré comme un traité au sens de l’article II de la Constitution américaine, ce qui impliquerait une ratification par une majorité des deux tiers du Sénat des Etats-Unis où les républicains, opposés à toute forme d’accord, ont aujourd’hui la majorité.
Pour éviter d’être confrontés à cette épreuve, les négociateurs américains ont obtenu qu’un certain nombre d’engagements ne soient pas formulés en termes prescriptifs mais deviennent aspirationnels ou volontaires. S’agissant des « contributions déterminées au niveau national », sur lesquelles nous reviendrons, on relève par exemple le membre de phrase suivant : « Les contributions déterminées au niveau national […] peuvent inclure, selon qu’il convient, entre autres, des informations chiffrables… » Certains en ont conclu que l’Accord avait perdu tout caractère d’engagement juridique alors que la plate-forme de Durban stipulait que l’accord à mettre en place devait être juridiquement contraignant, ce que nos responsables politiques ont à maintes reprises rappelé[2]. Il est exact qu’à plusieurs endroits un « should » est venu remplacer le « shall » initial. Cependant il demeure dans les textes adoptés à la fin de la COP21, dans la version anglaise, 139 occurrences du mot « shall » contre 39 du mot « should ». Difficile dans ces conditions de soutenir que le texte n’emporte pas des obligations. Le problème est en fait de déterminer le prisme de lecture. Selon que l’on se place du point de vue des pouvoirs réglementaires ou législatifs d’un Etat donné, pour autant qu’ils soient distincts, il pourra être considéré que le texte génère ou ne génère pas des obligations juridiques. D’une façon générale, on peut considérer que l’Accord est assez contraignant du point de vue de la méthode mais reste indicatif du point de vue de la définition des actions précises à mener.
A l’instar de la Convention, l’Accord de Paris peut donc être vu comme une architecture ou un cadre (un « framework »), dont la durée de vie, comme celle de la Convention, peut s’étaler sur plusieurs dizaines d’années, autour duquel peut s’organiser une stratégie de lutte contre les changements climatiques, balisée chaque année par des COP successives dont la prochaine se tiendra en 2016 à Marrakech (Maroc).
La philosophie générale de l’accord
Les disputations autour du protocole de Kyoto et les palinodies qui s’en sont suivies ont convaincu les Parties qu’une approche top-down consistant à imposer des limites aux émissions de chacun des Etats, comme cherchait à le faire le protocole de Kyoto, était une impasse compte tenu de la disparité des situations de chacune des Parties et de leur refus, notamment de la part des pays en développement, de se voir imposer des limitations qui pourraient venir contrecarrer leur développement. L’Accord adopte en conséquence la démarche inverse. Il fixe des objectifs très généraux – en l’occurrence la limitation à 2 °C de l’élévation de la température moyenne de la planète – et, constatant que la tendance actuelle ne va pas dans cette direction, demande à chaque Partie de contribuer à la réalisation de l’objectif et même au-delà (en visant 1,5 °C) par des contributions volontaires, « les contributions déterminées au niveau national », que chaque Etat doit élaborer dans un esprit d’équité et dans un contexte de développement durable et de lutte contre la pauvreté.
Après avoir rappelé le principe de responsabilité commune mais différenciée, l’accord met ainsi chaque Partie devant ses responsabilités en demandant des contributions, qui n’auront pas valeur d’engagements formels, mais seront publiées et discutées au vu et au su de l’ensemble des Parties dans un esprit de transparence et de solidarité.
L’innovation majeure est d’amener l’ensemble des Parties à contribuer à la réalisation de l’objectif commun, chacune à la hauteur de ses moyens, en mettant ainsi un terme à la dichotomie du protocole de Kyoto qui voulait que les pays en développement restassent les spectateurs passifs de l’effort consenti par les pays économiquement les plus avancés (les pays de l’annexe B). Cette approche a été rendue possible par l’évolution des positions de la plupart des Etats et notamment des deux grands émetteurs : les Etats-Unis et la Chine, laquelle est confrontée à des problèmes considérables de pollution atmosphérique dans ses grandes cités. Cette évolution s’est concrétisée par le dépôt, préalablement à la COP21, de contributions prévues en provenance de 185 gouvernements (les Intended Nationnally Determined Commitments ou INDCs).
La décision de la COP21 ne fait pas preuve de naïveté : elle reconnaît que les contributions actuellement déposées conduiront en 2030 à des émissions de gaz à effet de serre au niveau global de 55 Gt de CO2 en 2030 alors qu’il faudrait les ramener à 40 Gt pour respecter l’objectif de 2 °C et à moins pour espérer atteindre celui de 1,5 °C, ce qui semble aujourd’hui tout à fait hors de portée. L’Accord définit un cadre qui, sans être formellement contraignant, devrait constituer une incitation forte pour chaque Etat à s’associer en équité à la réalisation de l’objectif, ce qui, dans le cas des Etats-Unis par exemple, pourrait amener l’administration au pouvoir, quelle qu’elle soit, à réfléchir à deux fois avant de décider de s’éloigner de la trajectoire commune.
L’atténuation des émissions et les contributions déterminées au niveau national
Chaque Partie devra donc soumettre sa « contribution déterminée au niveau national ». Si l’ampleur n’en est pas fixée de façon dirimante, ces contributions devront refléter des « efforts ambitieux » en vue de réaliser l’objet de l’Accord devant se traduire au niveau mondial par un plafonnement des émissions dans les meilleurs délais, suivi au cours de la deuxième partie du siècle par un équilibre entre les émissions et les capacités d’absorption des puits de gaz à effet de serre.
La forme de ces contributions est en apparence laissée relativement libre mais la COP et ses organes subsidiaires se réservent la possibilité de fixer des règles précises. Le souci de clarté et de transparence est l’un des points essentiels de l’Accord afin de permettre de dresser dès 2023 un bilan mondial de mise en œuvre qui éclairera les Parties dans la détermination et l’actualisation de leurs contributions.
Ces contributions devront correspondre à des objectifs exprimés en chiffres absolus pour les pays développés cependant que les pays en développement sont encouragés à passer progressivement à des objectifs de réduction ou de limitation de leurs émissions eu égard à leurs contextes nationaux.
Les contributions seront déterminées tous les cinq ans à compter de 2020, les premières devant être déposées et/ou actualisées au moment du dépôt des instruments d’adhésion à l’Accord avec un rapport de situation prévu en 2018. Chaque partie pourra à tout moment modifier sa contribution mais à la condition d’en relever le niveau d’ambition.
L’Accord reconnaît la possibilité pour les Parties qui le souhaitent d’agir de façon concertée dans la définition et la réalisation de leur niveau d’ambition et de leurs contributions, comme c’est le cas aujourd’hui de l’Europe. Il ouvre également la voie à un mécanisme de mutualisation des efforts (le mécanisme pour le développement durable), qui pourrait constituer une réincarnation du mécanisme de développement propre implémenté dans le cadre du protocole de Kyoto, étant noté que la participation à ce mécanisme resterait volontaire et ne concernerait que les réductions des émissions s’ajoutant à celles qui se produiraient autrement (principe d’additivité).
L’adaptation
L’Accord reconnaît que l’adaptation aux changements climatiques est un problème mondial qui se pose à tous, avec des dimensions locales, nationales, régionales ou internationales. En conséquence, les Parties reconnaissent qu’elles devraient, sous différentes formes, intensifier leur coopération en vue d’améliorer l’action pour l’adaptation. Ces efforts seront refléter dans le bilan mondial et ceux des pays en développement seront reconnus selon des modalités fixées par la COP.
Cependant, les résolutions de la COP21 stipulent clairement, à la demande des Etats-Unis, que les pertes et dommages liés aux changements climatiques « ne peuvent donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation ».
En définitive, hormis le droit reconnu aux pays en développement d’exposer leurs efforts en matière d’adaptation, cette partie de l’Accord reste faible et relève pour l’essentiel de la déclaration d’intention. Le problème de fond est en fait celui du financement, de l’atténuation comme de l’adaptation.
L’assistance financière aux pays en développement
On sait que depuis la COP15 de Copenhague en 2009, cette question est au cœur des débats, les pays développés ayant pris l’engagement, non juridiquement contraignant, d’apporter chaque année aux pays en développement des financements d’au minimum 100 Md USD à compter de 2020, pour leur permettre de mener les actions de mitigation et d’adaptation nécessaires.
La difficulté à matérialiser cette promesse a été l’un des obstacles les plus difficiles à la finalisation de l’Accord de Paris. Au final, les pays en développement ont obtenu dans l’Accord un engagement des pays développés (avec un « shall ») de leur fournir « des » ressources financières aux fins tant de l’atténuation que de l’adaptation. Avec un « should » cette fois, lesdits pays développés « devraient continuer de montrer la voie en mobilisant des moyens de financement de l’action climatique… ». Aucun chiffre ne figure dans l’accord proprement dit et les résolutions de la COP21 se limitent à dire que « les pays développés entendent poursuivre leur objectif collectif annuel de mobilisation » et que « la COP fixera avant 2025 un nouvel objectif chiffré collectif à partir d’un niveau plancher de 100 Md USD par an, en tenant compte des besoins des pays en développement ».
On le voit, ces dispositions sont faibles et peuvent être interprétées comme traduisant un certain rapport de forces. Mais pouvait-il en aller autrement en l’absence d’une gouvernance beaucoup plus forte impliquant le prélèvement et la redistribution de ressources ?
La même remarque pourrait être faite à propos des dispositions relatives au transfert de technologies qui restent pour l’essentiel – hormis les obligations de reporting – au niveau de la déclaration d’intentions et innovent peu par rapport aux dispositions de la Convention.
Les marchés et le prix du carbone
L’absence de dispositions fortes relatives au prix du carbone est considérée par beaucoup comme une faiblesse majeure de l’accord. Mais on sait depuis longtemps que la plupart des Parties à la Convention n’étaient pas prêtes à s’engager dans un remake du protocole de Kyoto imposant un prix de marché au niveau mondial, considérant que le concept de prix du carbone vient interférer de trop près avec les ressorts de leur développement économique et que sa fixation par un mécanisme qui leur échappe constituerait une forme de perte de nationalité.
On notera cependant que l’Accord reconnaît que les Parties peuvent « mener à titre volontaire des démarches concertées passant par l’utilisation de résultats d’atténuation transférés au niveau international » et, comme mentionné précédemment, prévoit un mécanisme de transfert des droits entre pays hôtes des projets et pays acquéreurs de ces droits. Lorsqu’elles s’engagent dans des mécanismes volontaires de ce type, les Parties doivent en assurer l’intégrité environnementale et la transparence, en respectant les règles fixées par la COP afin d’éviter notamment les doubles-comptes.
Se trouve ainsi préservée la possibilité pour certaines Parties de constituer des « clubs carbone » qui, pourront être reconnus au niveau international mais devront respecter les règles fixées par la COP.
Derrière cette approche, on peut lire la conviction que la fixation d’un prix du carbone au niveau mondial relève de l’utopie et serait peut-être inefficace. Si un prix du carbone est en soit souhaitable pour intégrer les externalités liées aux émissions de CO2, ce prix se forme, de façon explicite ou implicite, au travers de la réglementation, de la standardisation ou du marché, à des niveaux qui varient dans des proportions considérables en fonction des secteurs applicatifs et des zones géographiques. L’Accord de Paris fait le pari qu’une approche décentralisée laissant toute sa place à la subsidiarité sera plus efficace qu’un dispositif imposé depuis l’amont.
En conclusion…
L’Accord de Paris impose peu mais il établit un process fondé sur une architecture constituée de règles et d’institutions aujourd’hui acceptées par tous, qui est de nature à permettre la construction, pierre par pierre et au fil des années, d’une stratégie concertée au niveau mondial autour d’objectifs partagés. Vu de cette façon, l’Accord de Paris pourrait servir d’accélérateur à toutes les initiatives prises localement – en Europe, aux Etats-Unis et en Chine tout particulièrement, à les aider à se déployer et à viser progressivement des objectifs de plus en plus ambitieux.
Bien entendu la responsabilité de la conférence des Parties à la Convention est énorme et comme chacun sait, le diable est toujours dans les détails. Après tant d’échecs et de déceptions, c’est quand même la première fois depuis 1992 qu’un vent d’optimisme vient rafraîchir le climat.
Photo 1 : A la tribune, lors de l’adoption de l’accord de Paris, Laurence Tubiana, Christiane Figueres, Laurent Fabius et François Hollande – Crédit photo : COP21.
Photo 2 : La salle au Bourget, lors de l’adoption de l’accord de Paris, le samedi 12 décembre 2015 – Crédit photo : COP21.
[1] Il est à noter que l’amendement de Doha de décembre 2012 n’a pas encore reçu la ratification d’un nombre suffisant de Parties pour officiellement entrer en vigueur. Il n’est pas exclu qu’il s’éteigne avant d’avoir jamais existé.
[2] L’ordre du jour de la COP 21 était rédigé en ces termes : Adoption of a protocol, another legal instrument, or an agreed outcome with legal force under the Convention applicable to all Parties ».
Jean-Pierre Hauet
Rédacteur en chef de la REE