En raison du changement climatique, les feux de forêts sont appelés à être plus nombreux, plus violents, plus longs et à se généraliser sur l’ensemble du territoire métropolitain. Face à un risque incendie croissant, les sénateurs viennent d’adopter un nouveau train de mesures destinées à mieux coordonner les réponses déjà existantes et à faciliter l’intervention des acteurs de terrain (élus, forestiers, sapeurs-pompiers, etc.), en amont et en aval des incendies.
Un texte fondamental, pour répondre à un enjeu critique. Après adoption par le Sénat de la proposition de loi le 29 juin dernier, le texte « visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie » a été publié le 10 juillet dernier.
Il est l’aboutissement de nombreuses auditions d’experts situés en première ligne, issus notamment de la filière Forêt Bois -Fédération Nationale des Communes Forestières (FNCOFOR), France Bois Forêt, Fransylva, l’Office national des forêts (ONF), l’UCFF, les Coopératives Forestières…- ou encore de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers et d’associations de protection de l’environnement.
Une avancée législative particulièrement attendue après les « méga-feux » qui ont, en 2022, ravagé quelque 72 000 hectares de forêts en France, et qui vise notamment à encourager les actions locales et à fluidifier la collaboration entre les divers acteurs mobilisés pour prévenir et lutter contre les incendies. À l’aube d’un été à haut risque, que contient cette loi et quels changements va-t-elle introduire pour celles et ceux qui, depuis bien des années déjà, s’engagent au quotidien pour préserver la forêt ?
Le risque incendie, une problématique éminemment « transversale »
La raison d’être de cette loi et la question de son urgente nécessité étaient discutées lors d’une table ronde organisée par Fransylva pour la filière forêt bois, qui se tenait début mars au salon International de l’Agriculture. À cette occasion, la sénatrice Anne-Catherine Loisier a donné l’idée directrice en soulignant l’importance de « s’adapter à un changement climatique rapide ». En effet, à cause du dérèglement climatique, « le risque (incendie) remonte progressivement » des zones méditerranéennes où il était auparavant cantonné vers le Nord de la France. Mais il progresse aussi en termes d’intensité des feux et il s’étend désormais « tout au long de l’année » et plus seulement lors de la seule saison estivale, d’après l’élue de la Côte-d’Or. De 3 000 à 4 000 feux de forêts se déclarent tous les ans en France, et 20 000 hectares ont déjà brûlé depuis le début de l’année. Si neuf feux sur dix ont une origine humaine, les vagues de chaleur, dont la fréquence a été multipliée par quatre en quarante ans, les sécheresses et l’augmentation du volume de la biomasse forestière (+50 % en 30 ans) accentuent le risque incendie : les surfaces brûlées devraient augmenter de +80 % d’ici à 2050.
Autant de raisons pour lesquelles « il faut que l’on adapte nos capacités d’anticipation et de lutte contre les feux », d’après Anne-Catherine Loisier, qui insiste dans son intervention sur le fait que « la problématique de la vulnérabilité grandissante au risque incendie de forêt est transversale. Elle va mobiliser les forestiers, les sapeurs-pompiers, les agriculteurs, les maires, et il faut donc absolument avoir une stratégie transversale ». Et la sénatrice de rappeler que « la plupart des territoires ont déjà mis en place des dispositifs. On ne part pas de rien. On a une vraie culture en France (de lutte contre les incendies et de gestion de la forêt), mais il faut l’étendre, il faut que l’on mobilise les acteurs en concertation ».
La proposition de loi adoptée par le Sénat ambitionne justement de décloisonner les initiatives existantes : les acteurs locaux sont déjà pleinement impliqués dans la préservation des forêts, mais ils manquaient jusqu’alors d’outils légaux permettant de fluidifier leurs échanges et de mieux coordonner leurs efforts respectifs. Comme l’observe encore une fois la sénatrice de Côte-d’Or, « tout le monde fait son job, mais tout le monde le fait en silo ». L’objectif, selon elle, est donc de « mieux se coordonner aussi bien en amont pour avoir des forêts plus résilientes, (que de déterminer en aval) comment on adapte nos capacités de gestion de crise ». Dont acte, avec cette proposition de loi adoptée fin juin, qui s’appuie sur les nombreux dispositifs existants ainsi que sur les expertises locales d’ores et déjà déployées sur le terrain par un grand nombre d’acteurs.
De nouveaux dispositifs pour soutenir et coordonner les experts locaux
Concrètement, le texte de loi s’articule autour de huit axes distincts, le premier d’entre eux reposant sur l’établissement, d’ici à juillet 2024, d’une « stratégie nationale de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies », associant plusieurs ministères et l’Office national des forêts (ONF). La proposition de loi renforce aussi significativement les obligations légales de débroussaillement (OLD), notamment à proximité des habitations. Le texte entend également « dynamiser la gestion des forêts et promouvoir la sylviculture face au risque incendie », deux activités majeures dans la prévention du risque incendie puisqu’elles permettent notamment de déployer des actions de contrôle de la végétation en sous-bois, d’effectuer des coupures combustible par le débroussaillement, ou encore d’assurer un mélange d’espèces pour augmenter les chances de récupération post-feu…
De nouvelles dispositions sont d’ailleurs avancées par le texte afin de financer et soutenir les projets déjà existants de reconstitution de forêts plus résilientes, avec des essences d’arbres mieux adaptées aux conditions climatiques à venir.
Le texte prévoit également d’instituer un « réseau national de référents compétents en matière de défense des forêts contre les incendies (DFCI) », afin de faire profiter l’ensemble du territoire du savoir-faire et de l’expérience de ses experts.
Enfin, un effort particulier sera engagé afin de sensibiliser le grand public au risque incendie, une demande régulièrement formulée par les experts : concrètement, le texte introduit une interdiction de fumer dans tous les bois et forêts, et ce jusqu’à une distance de 200 mètres de ceux-ci, pendant une période à risque déterminée par arrêté préfectoral – en cas de non respect, la peine encourue pourra aller jusqu’à 10 ans de prison et 150 000 euros d’amende.
Une mesure qui prolonge les différentes campagnes de sensibilisation du gouvernement, dont la campagne nationale invitant le grand public à connaître les bons réflexes en cas d’incendie de forêt.
La loi entend enfin réaffirmer le soutien de l’État aux sapeurs-pompiers : les services d’incendie et de secours (SDIS) bénéficieront d’une exonération de la taxe sur les carburants (TICPE). Sans révolutionner la gestion « à la française » des forêts, les parlementaires ancrent donc, résolument, celle-ci dans le XXIe siècle.