La pandémie actuelle a en quelques mois commencé à provoquer dans plusieurs pays de graves dégâts directs et indirects sur les écoles et collèges, les activités économiques, la vie sociale et les finances des États, déclenchant de premières interrogations sur la pertinence des choix faits dans le dernier quart de siècle mais aussi dans les dernières semaines, sur la pertinence des stratégies adoptées pour les compétences, ressources humaines, moyens et équipements… Ces réflexions prendront du temps pour dégager un retour d’expérience robuste et auront bien entendu des aspects conflictuels, avec des mises en cause, des investigations, des tentatives pour nier la responsabilité de décisions antérieures ou pour promouvoir des revendications même «hors sujet». Il serait dangereux à beaucoup de points de vue que l’anticipation de ces futures tensions complique les prises de décision des prochaines semaines, en particulier en poussant les autorités et les analystes à des surenchères dont la motivation principale serait d’essayer d’exorciser les contestations des décisions précédentes.
Une situation de ce type me paraît se présenter immédiatement avec la question du masque que chacun de nous porte (enfin) dans la rue, le tram. Les réticences contre le masque en tissu sont à mon avis surtout des séquelles des débats antérieurs sur le manque des masques pour les soignants. Pourtant, les fonctions des deux types de masques sont très différentes! Après une période de négationnisme, les positions officielles depuis mi-avril recommandent le port de masques «grand public» en affirmant enfin son rôle pour me permettre de protéger ceux que je vais rencontrer dans la rue, le tram ou au travail, en particulier dans la période où je suis « contaminé asymptomatique». Pourtant, on voit bien qu’un des enjeux supplémentaires est de permettre à tous de produire « à la maison» le masque en tissu qu’ils pourront offrir autour d’eux : l’internet propose d’ailleurs de multiples patrons et tutoriels, français et étrangers. Mais les prises de position des autorités antérieures au mois de mars offrent la possibilité de tant de citations pour continuer à affirmer que le masque « artisanal» ne vaudrait que s’il faisait l’objet d’une certification démontrant sa conformité à une «norme» garantissant le risque nul – on voit bien l’effet dissuasif sur le «Do it yourself». Tout ceci ne peut que retarder la généralisation de la fabrication de ces masques en tissu et de leur utilisation par chacun. Outre les conséquences sur la prolongation des impacts sanitaires (décroissants) et des conséquences sociales (croissantes) du confinement « à la française», les pertes de confiance viendront forcément s’ajouter aux suspicions de mensonge léguées par les périodes précédentes.
Pour aider à sortir au plus vite de ces pièges, nous avons en France tout intérêt à mettre largement à disposition tout élément susceptible de faciliter à chacun la formation de son jugement. Je pense en particulier aux textes du CDC américain – Center for Diseases Control – qui me semble une bonne référence pour remettre de l’ordre dans nos idées sur les différents types de masques et la prise de position très sympathique de l’Académie de Médecine. Dans une crise, il n’y a jamais de correction de trajectoire sans difficulté mais la confiance est une ressource essentielle!
Philippe Vesseron Président honoraire du BRGM