Je vais commencer mon exposé en évoquant l’expérience concrète de mon entreprise, Aéroports de Paris, qui s’est lancée depuis une dizaine d’années dans la lutte contre le réchauffement climatique. Nous avons pris en compte deux moteurs de l’histoire humaine, deux drivers (pour prendre le vocabulaire à la mode) : la peur (ou conscience des périls) et l’appât du gain (ou recherche du profit).
L’industrie du transport aérien contribue peu à l’émission de CO2 au niveau de la planète. Les experts de la profession parlent de 3 %, les ONG (qui n’aiment pas nécessairement le transport aérien) tablent sur 5 ou 6 %. C’est très peu par rapport au transport maritime. Mais nous sommes dans un milieu très observé… et il y a un dispositif légal à respecter. Il était donc logique et légitime de lancer des actions fortes tout en pensant au profit qui en résulterait. En six ans, nous avons réduit de 50 % nos émissions de CO2, notre empreinte carbone, et cette performance est à la portée de nombreuses entreprises relevant ou non de notre domaine. Nous avons fait 10 % d’économie d’énergie et nous visons 25 % dans les cinq années qui viennent. Nous avons atteint 16 % d’énergies renouvelables (avec un objectif de 27 %) dans notre mix énergétique, notamment par l’utilisation de chaudières à bois et de la géothermie (qui peut ensuite être revendue à certains de nos clients). Nous serons largement au rendez-vous des objectifs européens. La réduction de notre dépense énergétique nous a fait gagner de l’argent ; en matière d’éclairage, le retour sur investissement se fait en moins de 18 mois. Nous poursuivrons cet effort partout où nous sommes implantés dans le monde (notamment dans les 37 aéroports dont nous sommes l’exploitant majoritaire).
Dans la perspective de la COP21 (où Aéroports de Paris est impliqué au plan logistique, beaucoup de manifestations se passant sur nos emprises), les grandes nations peuvent réagir très différemment aux deux drivers que l’évoquais. Certaines, comme la Russie ou le Canada, ont objectivement intérêt à ce que le réchauffement climatique se développe. C’est le cas aussi pour le transport maritime qui trouvera de nouvelles voies grâce au dégel de la banquise. La conscience des périls n’est pas nécessairement suffisante pour surmonter des intérêts économiques majeurs. Mais, compte tenu de l’évolution des négociations, je suis convaincu qu’on parviendra à un accord, même si l’objectif des 2 °C est difficilement atteignable. Cet accord sera le succès d’un grand mécanisme de l’histoire humaine… en espérant que ce mécanisme ne gêne pas l’universalité. Cela donnera un peu plus de poids aux politiciens. Dans les pays comme le nôtre, la sphère politique a perdu une partie très importante de son pouvoir. Ceci est dû en partie aux grands mécanismes du marché. A l’inverse, grâce à la diplomatie environnementaliste et écologique et grâce aux décisions qu’elle peut susciter au plan mondial, le métier et les responsables politiques peuvent redorer leur blason. C’est un driver non négligeable pour favoriser un aboutissement de la négociation.
Dans de nombreux pays du monde, notamment aux Etats-Unis (et surtout en Californie), il y a une forte perception des périls liés au climat et la conscience écologique se développe fortement au niveau des citoyens. Et je crois beaucoup aux perspectives de profitabilité de l’ensemble. Ce qui peut être décidé à la COP21, c’est le véritable démarrage d’une nouvelle économie, une économie du troisième millénaire, une économie décarbonée, une économie écologique, une économie qui entraînera le développement de nouvelles technologies. Cette économie permettra à la fois de relancer la croissance dans les pays anciens où elle n’est pas très forte, et de passer au-dessus d’un certain stade d’évolution dans les pays émergents. L’intérêt économique commun est donc évident.
Nous sommes au-delà des bons sentiments ; il s’agit de la montée des périls, de la conscience des difficultés, de la recherche du profit et de l’évitement d’une catastrophe. La conclusion d’un accord profond mais souple à la COP21 constitue, à cet égard, une étape importante.
Didier Hamon
Secrétaire général du groupe Aéroports de Paris