Le film United States of Love est sur les écrans. Nous avons rencontré son metteur en scène polonais, Tomasz Wasilewski.
Le titre United States of Love m’intéresse beaucoup. Votre film se situe après la chute du mur de Berlin, quand les changements politiques et économiques ont conduit à une détérioration sociale, plus particulièrement de la condition féminine. Comment peut-on interpréter le titre de votre film ?
Je cherchais un titre qui conjuguerait toutes les émotions de toutes ces femmes. J’ai écrit le scénario, j’ai compris les émotions et ce que ces femmes ont subi, mais je n’ai pas trouvé les mots pour les placer dans un seul titre.
Ça n’était pas facile ?
Pas facile et c’est alors que soumettant le script à mes acteurs, l’un d’entre eux, Tomek Tyndyk, qui interprète le jeune prêtre, a suggéré United States of Love, ça s’est passé ainsi. Donc le titre est très important pour moi parce qu’il combine toutes les émotions que vous pouvez trouver dans le mot amour.
Avant de vous poser des questions sur le film lui-même, est-ce que vous pouviez me parler de l’atmosphère dans les années 1990 ? Dans vos interviews précédentes, vous dites qu’il était difficile de s’habituer aux nouvelles libertés, qu’avez-vous ressenti ?
J’en ai beaucoup parlé avec mes actrices. C’est la génération, surtout celle de Dorota Kolak, le professeur de russe dans le film, c’est la génération qui a vécu presque toute sa vie sous le communisme. Imaginez-vous un animal vivant dans une cage pendant des années, vous ouvrez la cage, l’animal ne sort pas, il considère la cage comme sa maison. C’est tout ce que les gens connaissaient, rien, à vrai dire. La liberté était très importante, en même temps nous ne comprenions pas ce qui allait venir avec cette liberté, tous les changements.
Cette période était-elle économiquement difficile ? La population redevenait très pauvre, suite aux réformes libérales ?
Je ne sais pas vraiment. Ce qui a beaucoup changé, c’est que nous pouvions soudainement voyager à l’étranger et c’était la réalité pour de nombreuses familles polonaises. Mon père est allé travailler à New York, il était un immigrant illégal et il ne pouvait pas retourner en Pologne. Car, s’il était revenu, il lui aurait été impossible de retourner aux États-Unis. Donc les familles polonaises étaient divisées. Cela a changé avec le temps
Passons au film : ce film est-il un hommage à votre mère ?
Les histoires ne sont pas vraies. C’est mon fantasme, ce dont je me souviens. Comme je vous l’ai dit, mon père est parti, je n’étais entouré que par des femmes, ma mère, ma sœur et ses amies. Je me souviens de cette époque, du point de vue de la femme, mais c’est mon fantasme.
Donc, ce ne sont pas des histoires vraies ?
Ce ne sont pas des événements vrais, mais de vrais lieux. Je m’interroge, en fait, cela aurait-il pu arriver à ces femmes.
Votre mère a-t-elle vu le film et qu’est-ce qu’elle en a pensé ?
Mes parents aiment le film, ils préfèrent regarder des films plus faciles, mais ils sont fiers de moi.
Diriez-vous que le film est politique ?
Je pense que oui, à la fin, il devient un peu politique parce que la politique est toujours en arrière-plan. C’était très important pour moi de percer le sens du communisme. Je ne voulais pas faire un film politique spécifique, je voulais faire un portrait des gens, à une époque donnée, dans un contexte donné.
Je tente donc de cacher la politique, en quelque sorte l’aspect politique, mais j’ai toujours compris, et c’était très important et très difficile, que chaque aspect de ce travail devait fonctionner : la cinématographie, le design, le maquillage. Je voulais faire un portrait des gens utilisant, pour ce faire, certains faits politiques
Avez-vous procédé à beaucoup de recherches cinématographiques ?
J’ai visionné des nouvelles originales, mais pas seulement polonaises, pour ressentir des nouvelles de l’Europe de l’Est, même si je ne comprenais pas, je voulais juste voir des images.
Qu’avez-vous découvert avec ces images ?
Des souvenirs me sont revenus. J’avais neuf ans lorsque le communisme s’est effondré. Je me souviens des queues pour acheter de la nourriture, de la viande, des téléviseurs, des voitures. Il n’y avait rien. Nous n’avions rien. Nous avions des cartes de rationnement. Pour acheter de la viande, pour acheter n’importe quoi. Autant de cartes nous avions, autant de produits nous pouvions acheter. Nous n’avions rien. Pour acheter une voiture, il fallait attendre trois ans…
Mais la société ne paraissait pas aussi divisée qu’aujourd’hui ?
Oui, seulement en tant que personne ayant vécu sous le communisme puis le capitalisme, je ne serais pas complètement d’accord avec ce que vous dites. Je peux imaginer la perspective de personnes dont les antécédents étaient communistes, ce dont je vous ai parlé avec cet animal dans la cage. L’actrice, enseignante de russe dans le film, dit que le communisme a fait quelque chose en quoi les gens ont cessé de croire. Le communisme ne leur a pas permis de croire qu’il apportait de la liberté sur leurs vies personnelles et professionnelles. C’est vrai, la société n’était pas aussi divisée qu’elle l’est aujourd’hui, mais il n’y avait pas de liberté.
Ce que nous voyons dans votre film, quatre femmes expriment leurs envies et elles n’obtiennent pas ce qu’elles veulent. Diriez-vous que la répression de la sexualité, par l’Église, ou par la politique, empêche les gens de réaliser leurs rêves et de se réaliser ?
J’ai toujours choisi des personnages au bord de la crise dans mes films. Peu importe le contexte, je m’intéresse toujours à ce genre de personnages. Bien sûr, la tradition, l’Église, tout ce qui nous entoure, a une influence sur nous. Bien sûr, il est très difficile d’analyser ces situations, mais je place mes personnages dans un état d’émotion, sachant qu’ils ne pourraient pas se défendre et lutter avec moi en tant que créateur. Face à des gens traversant des émotions, ils deviennent comme des enfants, ils ne se cachent pas, ils ne mentent pas, c’est l’instant où je peux montrer les vraies émotions. Je ne cherche pas des fins heureuses, je ne suis pas dans cet état d’esprit, je veux atteindre le niveau profond de l’âme humaine.
Par exemple, avec cette scène où mari et femme font l’amour, des corps nus allongés sur le lit. Ce qu’il y a de plus intime, mais ils étaient tellement divisés, éloignés. C’est effrayant, terrifiant comme situation. J’ai utilisé la sexualité pour montrer ce que ressentaient ces femmes. Je conçois que cela soit triste. Parfois, je ressens aujourd’hui qu’il est plus facile de faire l’amour que d’exprimer les pensées les plus profondes. Il semble plus facile d’utiliser notre corps que de s’ouvrir à l’autre.
Il est clair que l’intimité est ce que vous recherchez, par la façon dont vous montrez les corps à l’écran. C’est aussi gênant. Par ailleurs, le rythme des scènes est également intéressant, il est très saccadé. Y a-t-il une raison à cette disjonction entre les scènes ?
Oui, je pense que les scènes sont lisses et en même temps nettes. Il suffit de couper, couper, couper. C’est pareil avec le début et la fin du film, j’ai coupé sans aucune explication le fil de l’histoire.
Pourquoi montrez-vous tant de division entre les femmes et les hommes ? Pourquoi montrer les hommes aussi violents, voire inintéressants ?
Peut-être parce que j’ai choisi de me concentrer sur le point de vue des femmes. Je me suis concentré sur les femmes dans ce film. Toutefois, le premier personnage du film est masculin, c’est un homme qui est amoureux et sacrifie tout à sa famille et à sa femme. Il sent qu’elle se retire et qu’il ne peut pas la garder, mais en même temps, elle ne le quitte pas. À l’époque, dans nos sociétés, on ne divorçait pas. Ce contexte est important, il n’est pas un « loser », c’est la famille qu’il perd.
Diriez-vous que la relation entre les hommes et les femmes a changé depuis la chute du communisme ?
Oui, parce que la société est différente. Nous sommes différents. Au sein de la nouvelle génération, la mienne, on ne se marie pas. Nous vivons selon nos propres règles, pas les règles de l’Église, ni les règles du pays. Cela est dû à la culture occidentale qui a changé notre société, nous sommes devenus une partie du monde. Nous avons accès à tout et c’est incroyable. Nous construisons nos relations sur une base différente, en tant que personnes libres.
C’est donc devenu plus libéral ?
Oui, j’ai beaucoup d’amis qui font une thérapie, ce qui est normal. À cette époque, les gens auraient dit qu’ils étaient fous, c’est la différence. C’est une grande différence. Maintenant, vous allez en thérapie, juste pour parler, parler à quelqu’un, chercher à comprendre.
Donc, c’est une bonne chose ?
C’est une bonne chose d’avoir ce que nous avons !
Y a-t-il quelque chose de négatif avec cette relation au monde occidental ?
Ce qui se passe maintenant dans le monde, c’est un tournant vers la droite. La situation aux États-Unis avec les dernières élections, comme en Pologne, se tourne vers l’extrême droite, nous verrons comment cela sera en France. Je ne me moque pas du nationalisme, je serai toujours polonais, l’Europe, le monde ne me retiendront jamais.
Vous sentez-vous citoyen européen ?
Oui, mais aussi un citoyen polonais. Je ne comprends pas ce virage vers l’extrême droite. Car, faire partie de l’Union européenne ne s’oppose en rien au nationalisme. Alors, me souvenant du communisme, je suis tellement heureux et je suis tellement fier de l’U.E. Je veux être un citoyen européen.
Quel sera votre prochain film ?
C’est un portrait émotif d’une femme de soixante ans, en situation de crise, un moment très difficile pour elle et sa famille. Les personnages seront des personnes mûres, et c’est très excitant pour moi. Le plus jeune aura quarante ans, donc encore quatre ans de plus que moi. Je suis très enthousiaste à l’idée d’explorer leur sensibilité, leur vie. Je commencerai le film l’année prochaine.
Propos recueillis par Sonya Ciesnik