Un projet de loi visant à autoriser et réguler les casinos en ligne est actuellement étudié par les parlementaires. Pourtant, il y a un an, quatre addictologues et un socio-épidémiologiste ont signé une tribune mettant en exergue les risques sanitaires liés au développement de ces jeux sur internet, qu’ils qualifient de « drogues ».
Enjeux économiques et sociaux des casinos en ligne
Les promoteurs de l’ouverture des casinos en ligne défendent cette mesure au nom de la création de nouveaux emplois et d’un potentiel économique pour l’État, avec 1 milliard de recettes fiscales. Ils estiment que canaliser une offre illégale vers une offre légale permettrait également de mieux protéger les joueurs. Or, selon la tribune d’experts, publiée dans Le Figaro l’année dernière, ces arguments ne tiennent pas face aux risques accrus de dépendance, notamment avec les machines à sous digitales, considérées comme les plus addictives.
Ces jeux en ligne cumulent les facteurs de risque : rapidité des mises, fréquence élevée des parties et mécanismes qui poussent à jouer sans s’arrêter. Les développeurs ont conçu ces jeux pour maximiser le temps passé par les joueurs, créant des environnements numériques propices à des distorsions cognitives, soit des pensées irrationnelles poussant à jouer contre toute logique.
« Le jackpot est en ligne de mire mais il est très rarement atteint ; des petits gains et des jackpots apparents, ratés de peu, donnent un sentiment de victoire. Victoire illusoire car, in fine, la machine gagne. Le jeu sur machine à sous est une véritable drogue. Les joueurs compulsifs sont comme pétrifiés, incapables de quitter les machines, totalement pris dans le rythme du jeu qui atténue leur conscience de l’espace, du temps et de la valeur même de l’argent. Ils ne prennent conscience des pertes qu’après coup, une fois l’excitation du jeu retombée, et alors souvent, ils s’effondrent, envahis d’idées suicidaires. Rappelons qu’environ 20 % des joueurs excessifs qui débutent des soins ont déjà commis une tentative de suicide », expliquent les signataires de la tribune.
Un modèle économique basé sur la dépendance ?
Le casino en ligne cible particulièrement les joueurs vulnérables. Selon le projet de recherche international eGames, 45 % des joueurs de casino en ligne sont classés comme joueurs excessifs, produisant 65 % du chiffre d’affaires, voire 80 % en incluant ceux ayant des pratiques à risque. En d’autres termes, la majorité des revenus de ces jeux provient de personnes en difficulté avec leur pratique. Sans elles, le modèle économique de ces plateformes n’est pas pérenne.
Les partisans de la légalisation promettent que cette nouvelle offre sera encadrée pour limiter les risques. Mais les spécialistes doutent de la faisabilité de telles mesures. Dans un cadre de régulation souvent laxiste, les jeux de hasard régulés, comme les paris sportifs, bénéficient d’une large diffusion publicitaire, exacerbant les risques de dépendance. L’illusion d’un encadrement strict pourrait s’effondrer rapidement face aux pressions des opérateurs de jeux, réclamant des conditions moins contraignantes pour être compétitifs face à l’offre illégale.
Un avenir économique incertain
L’idée que la légalisation des jeux de casino en ligne pourrait lancer un nouveau secteur économique est contestée par les spécialistes. Ils estiment que la capacité de dépense des Français dans les jeux d’argent est limitée, et que l’expansion de ce secteur se ferait au détriment des autres structures de jeux. L’État pourrait certes bénéficier de nouvelles taxes, mais à quel prix ? La majorité des revenus de cette nouvelle filière viendrait de joueurs en détresse, créant une activité économique fondée sur la dépendance et la souffrance humaine.
« Depuis 2010 et l’ouverture d’une offre légale de jeux en ligne, les pratiques problématiques de jeu progressent dramatiquement, quasi multipliées par 3 en 10 ans, et plus massivement chez les jeunes majeurs. En 2019, l’État réaffirmait dans la loi la nécessité de prévention du jeu excessif et mettait en place une Autorité nationale des jeux qui s’efforce de mettre en application cet objectif », poursuivent les scientifiques. Ils appellent les parlementaires à privilégier la santé publique et la prudence, pour éviter de reproduire les erreurs commises par d’autres pays confrontés à une montée incontrôlable des dépendances.
Impact sur les casinos traditionnels
Au-delà de la menace pour la santé publique, l’autorisation des casinos en ligne représenterait une concurrence féroce pour les casinos traditionnels. Dans les colonnes des Echos, Grégory Rabuel, directeur général du groupe Barrière et président du syndicat Casinos de France, affirme que l’initiative du gouvernement est « totalement irréfléchie » et pourrait avoir des conséquences « catastrophiques ». « Selon nos calculs, l’ouverture à la concurrence du casino en ligne entraînera une baisse du produit brut des jeux des casinos terrestres de 20 à 30 %, et la fermeture de 30 % des établissements. 15 000 emplois seront également supprimés », indique-t-il
Grégory Rabuel dénonce aussi « une hypocrisie générale de l’Etat qui va mettre à mal des entreprises françaises au profit de plateformes souvent hébergées dans des paradis fiscaux ». Il estime que « 20 à 30 acteurs vont arriver du jour au lendemain ».
De son côté, la Française des Jeux (FDJ) accueille avec réserve l’ouverture des casinos en ligne. « Toutes les études montrent que les casinos en ligne présentent plus de risques que les autres jeux d’argent et de hasard, avec des phénomènes d’addiction qui pourraient augmenter et une offre illégale qui, conformément à ce qu’on observe dans les autres pays ne disparaîtrait pas pour autant », avance-t-elle.
La FDJ estime aussi que les recettes fiscales attendues par le gouvernement (1 milliard d’euros) sont « largement surévaluées ».