Le 6 janvier dernier, Alassane Ouattara a confirmé envisager une réforme de la Constitution ivoirienne « dans le courant du premier trimestre de cette année ». Si rien ne fuite encore du projet d’ajustement, les modifications devraient être marginales et se concentrer uniquement sur une clarification d’un texte qui, sur certains points, reste encore sujet à interprétation. L’esprit de la réforme de 2016, qui avait contribué à pacifier définitivement le pays, sera, sans doute, entièrement conservé.
En 2016, une réforme constitutionnelle pour apaiser un pays meurtri
En 2016, un an après sa réélection, Alassane Ouattara met en œuvre une réforme constitutionnelle d’ampleur aspirant notamment à apaiser un pays meurtri par la guerre civile de 2010-2011 qui avait, dans son sillage, causé la mort de 3 000 personnes. Le nouveau texte, bien plus inclusif, donne naissance à la troisième République de Côte d’Ivoire et symbolise le retour à la paix après une longue période d’instabilité.
La nouvelle loi fondamentale supprime notamment le concept très contesté d’ivoirité, popularisé par des intellectuels proches de l’ancien Président Henri Konan Bédié à partir de 1995. Sur les radios et les télévisions publiques, les soutiens d’Henri Konan Bédié glorifiaient en effet les « Ivoiriens de souche », qu’ils opposaient aux « Ivoiriens de circonstance ». Cette rhétorique, utilisée un an après le génocide des Tutsis rwandais d’avril 1994 dont le bilan macabre est aujourd’hui estimé à 800 000 morts, avait alors fortement inquiété la communauté internationale. L’ivoirité fut en effet un vecteur de crispation identitaire et d’exclusion d’une partie des citoyens ivoiriens, notamment les populations du Nord, majoritairement musulmanes. Alassane Ouattara, pour ses prétendues origines burkinabè, avait aussi été victime de ce vaste mouvement d’exclusion. La Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH) s’était, à l’époque, fermement opposée au concept d’ivoirité, invoquant un système « xénophobe ». « La crise actuelle procède en effet de violations systématiques et flagrantes des normes universelles depuis octobre 2000, violations caractérisées notamment par le massacre de Yopougon et l’exploitation de l’ivoirité comme instrument politique et de gouvernement » expliquait ainsi la FIDH en 2003.
Dans le sillage de la Constitution de 2006, un Sénat avait aussi été instauré, faisant de la Côte d’Ivoire un système bicaméral sur le modèle des démocraties occidentales. Mais, la Chambre des rois et chefs traditionnels, garante du maintien de la diversité du pays et de ses traditions cosmopolite et pluriethnique, a cependant été conservée. Un poste de vice-président est aussi créé ad hoc pour suppléer au Président élu et assurer une saine transition du pouvoir exécutif s’il venait à disparaître. Et surtout, la nouvelle loi fondamentale facilite amplement les révisions constitutionnelles, permettant au Président d’y apporter des modifications par la simple procédure parlementaire, sous réserve de l’obtention des deux tiers des votes des membres du Congrès.
Le corps électoral ivoirien, épuisé par la guerre civile de 2010, avait alors accordé un large assentiment au projet d’Alassane Ouattara. Le référendum de 2016 avait ainsi bénéficié de 93,42 % de votes favorables.
Ajuster pour clarifier : une nouvelle réforme constitutionnelle nécessaire ?
Si rien n’est encore fixé dans le projet de réforme d’Alassane Ouattara, certains opposants, comme Henri Konan Bédié ou Laurent Gbagbo, s’inquiètent de la possibilité de l’instauration d’une éventuelle limite d’âge pour les futurs Présidents de la République. Mais, les ajustements devraient être marginaux et n’exclure aucun candidat de la course à l’élection présidentielle prévue en octobre 2020. « Je voudrais rassurer les uns et les autres qu’il ne s’agit pas de “caler” qui que ce soit. Comme je l’ai dit, tout le monde pourra être candidat » a assuré Alassane Ouattara, tout en promettant « une année électorale paisible ». Aucune limite d’âge ne devrait être inscrite dans le nouveau texte, ne disqualifiant ni Laurent Gbagbo ni Henri Konan Bédié, principaux opposants à Alassane Ouattara, âgés respectivement de 74 et 85 ans.
À l’approche de l’échéance présidentielle, la Constitution actuelle manque de clarté et les différents camps engagés à la Magistrature suprême en font une lecture différente. Si Alassane Ouattara estime avoir le droit de se présenter du fait de la nouvelle Constitution de 2016, l’opposition conteste la légalité d’un éventuel troisième mandat. Sans aucun doute, Alassane Ouattara devrait modifier l’article relatif aux deux mandats qui, selon certains opposants, lui interdirait de se représenter une troisième fois.
La perspective d’un ajustement constitutionnel semble malgré tout bénéficier du soutien des constitutionnalistes du pays. Le Professeur Ouraga Bou, qui présidait le Comité d’experts chargé de rédiger la Constitution de 2016, précise ainsi que « la Constitution n’est pas un dogme » et qu’il est « bon de la retoucher parce que c’est une matière vivante ».
Alassane Ouattara veut poursuivre les travaux entrepris
Si Alassane Ouattara n’a pas encore explicitement annoncé sa candidature à un troisième mandat, il semble souhaiter poursuivre les travaux entrepris depuis dix ans. La pacification interne, déjà, semble enfin achevée. La COFACE, dans ses études économiques consacrées au pays, salue en effet « l’amélioration du climat des affaires et de la gouvernance » et le « renforcement de la stabilité politique ».
La croissance économique demeure robuste en Côte d’Ivoire, avec une hausse continue des investissements étrangers et le soutien des pouvoirs publics à l’économie nationale, à travers le second Plan national de développement (PND) qui devrait renforcer la connectivité de la Côte d’Ivoire avec le reste du monde.
La démocratisation de l’enseignement primaire et secondaire se poursuit, le taux de scolarisation atteignant aujourd’hui les 91,3 %, contre 72,6 % en 2011. L’indice de parité filles/garçons, quant à lui, s’élève à 0,99 pour l’enseignement primaire et 0,86 pour l’enseignement secondaire. Au niveau sanitaire, des progrès notables sont à souligner avec la construction de nouvelles structures de santé permettant de renforcer l’accessibilité des Ivoiriens aux infrastructures. Certains des fléaux les plus ancrés dans le continent africain, comme le VIH ou la tuberculose, sont en recul constant.
Si la COFACE déplore des « lacunes encore à combler en matière de gestion des finances publiques, d’infrastructures et d’environnement des affaires », elle souligne tout de même les « progrès accomplis ».
Certes, le pays souffre encore de faiblesses systémiques dommageables, comme la dépendance de la balance commerciale ivoirienne à certaines exportations fortement conditionnées aux aléas climatiques. Mais la trajectoire économique du pays reste solide et porteuse d’espoirs pour les Ivoiriens. La réforme constitutionnelle ne saurait parasiter les débats politiques qui doivent se concentrer sur la soutenabilité, à moyen terme, de la croissance économique ivoirienne.