Au Burkina Faso, l’inquiétude des organisations non gouvernementales continue de grandir et les professionnels de la presse nationale dénoncent des atteintes récurrentes à la liberté des médias. Dans le même temps, les violences interethniques se multiplient et complexifient le travail de réconciliation nationale. Une situation inquiétante dans un pays qui subit de plein fouet des vagues de violences terroristes.
Une multiplication des exactions contre les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme
La nouvelle législation relative à la lutte antiterroriste a été un facteur d’inquiétudes pour les observateurs internationaux. En effet, elle prévoit des sanctions pénales pour toutes les personnes, notamment les journalistes, qui diffuseraient des informations relatives aux forces de sécurité. Assez floue, cette législation pourrait permettre au pouvoir en place de museler la presse. « Il est légitime pour les autorités de prendre des mesures afin de protéger la population contre tout acte de violence criminelle. Mais ces mesures doivent s’inscrire dans un cadre qui garantisse la protection de tous les droits humains » affirme Marceau Sivieude, directeur régional adjoint d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du centre.
En novembre dernier, l’activiste Naim Touré semble en avoir été victime. Naim Touré a été purement et simplement kidnappé sous le prétexte fallacieux d’« une tentative de démoralisation des forces de défense et de sécurité ». En effet, Naim Touré aurait publié plusieurs messages critiques envers le gouvernement de Roch Kaboré sur les réseaux sociaux. « Aucune procédure légale n’a été respectée pour justifier son interpellation », dénonce Prosper Farama, avocat de Naim Touré. « Le procureur n’était même pas au courant de la procédure », poursuit Prosper Farama. Récemment, l’activiste a critiqué certaines promotions suspectes au sein des forces de défense et de sécurité burkinabés. Présenté comme un fervent opposant au régime en place, il dénonce le clientélisme politique qui semblerait prévaloir dans les nominations pour les postes à responsabilité au sein des forces de défense et de sécurité du pays. « Je reproche vraiment beaucoup de choses au régime actuel. Il y a un laisser-aller, une irresponsabilité caractérisée au plus haut sommet de l’État, la mal gouvernance, la gabegie, le copinage » explique Naim Touré. Les organisations professionnelles des médias burkinabés, dans leur communiqué commun, « interpellent le Gouvernement sur sa responsabilité dans la protection des citoyens en général et des journalistes en particulier pour garantir le libre exercice de leur métier ».
La délicate transition vers la réconciliation nationale
Le Président Kaboré est extrêmement critiqué pour une gestion jugée hasardeuse du défi sécuritaire. L’attitude ambiguë de Roch Kaboré envers les milices civiles d’autodéfense serait, en effet, un facteur d’accroissement des violences ethniques. « Beaucoup les considèrent comme la milice du parti au pouvoir. Or l’élection présidentielle aura lieu en 2020. Quel rôle joueront-ils alors, une fois encouragés à faire la loi sur le terrain ? » s’interroge l’analyste politique Mahamadou Ouédraogo. En janvier 2019, la communauté peule du centre-nord du pays a subi une attaque de la part d’hommes armés, en représailles à une attaque djihadiste attribuée à cette communauté. Le bilan est lourd et estimé à une cinquantaine de morts. Mais selon, le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC), le bilan réel serait plus proche de 216 morts. Le secrétaire général du CISC, Daouda Diallo, qui se bat notamment contre les conflits intercommunautaires et les exécutions extrajudiciaires, a lui aussi été inquiété et a subi des menaces de mort. Si Roch Kaboré s’est rendu sur place pour tenter d’apaiser les tensions, la gestion des conflits ethniques par le gouvernement burkinabé fait débat. « Le drame de Yirgou pose l’épineux problème de l’incapacité du gouvernement à faire face aux attaques terroristes, à assurer la sécurité des biens et des personnes, mais aussi, et surtout celui de la stigmatisation de certaines communautés ethniques » explique Prosper Farama, avocat du collectif.
Le 10 janvier dernier, un sit-in en hommage aux morts de Yirgou, organisé par le CISC devant le Tribunal de grande instance de Ouagadougou, a été interdit par le maire de la municipalité, au motif qu’une telle action « engendrerait un mauvais fonctionnement de cette institution indépendante ». « Nous assistons aujourd’hui à une situation où il y’a une négation de la liberté d’expression. Des mesures liberticides sont en train de gagner du terrain » explique Daouda Diallo, secrétaire générale du CISC.
Face au développement des violences ethniques, Eddie Komboigo, candidat très probable à la prochaine élection présidentielle, a lancé « un appel au retour de tous les exilés politiques de notre pays, exigence du moment en termes de réconciliation, de dignité, d’humanisme et de solidarité. » Une priorité réaffirmée par les autorités religieuses et coutumières qui, dans un communiqué commun, affirment vouloir « promouvoir une culture du dialogue interreligieux, interethnique et intercommunautaire ».